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Turquie ne parvient pas à obtenir l’assentiment et l’adhésion sincère de ses sujets chrétiens, elle est perdue. Voilà l’opinion qui s’est accréditée et fortifiée chaque jour davantage en Angleterre. La France ou plutôt le gouvernement français a depuis 1856 passé alternativement de la faveur à la malveillance, du mécontentement à la sympathie. Nous ne voyons pas que l’Angleterre ou le gouvernement anglais ait eu ces brusques changemens d’opinion. Depuis le jour où vers 1853 l’Angleterre a commencé à croire que les populations chrétiennes de l’Orient, pour ne pas aspirer à devenir russes, avaient besoin d’avoir un meilleur état social, soit par la réforme de la Turquie, soit même par leur propre indépendance, depuis ce jour-là la politique anglaise ou du moins une notable portion de l’opinion publique en Angleterre s’est dirigée par un progrès continu, quoique modéré, vers ce nouvel horizon politique ouvert en Orient. Cette Angleterre nouvelle a même conformé ses actes à ses opinions d’une manière éclatante en cédant à la Grèce les îles ioniennes, et par là elle a contredit hautement la politique de la Russie. La Russie avait déclaré par la bouche de l’empereur Nicolas, dans sa fameuse conversation avec lord Seymour, qu’elle ne souffrirait pas que la Grèce eût jamais un avenir territorial important en Orient. La cession des îles ioniennes à la Grèce n’a pas été seulement une générosité calculée pour faire contraste avec l’ambitieux égoïsme de la Russie; ç’a été une réfutation du principe russe; ç’a été la proclamation que la Grèce pouvait s’agrandir sans offenser l’Angleterre et sans l’avoir pour ennemie. De ce principe, proclamé par un acte aussi éclatant que la cession des îles ioniennes, on peut par conjecture tirer quelques conséquences utiles, et des conséquences toutes anti-russes. Ainsi dans une liquidation de l’empire ottoman l’Épire et la Thessalie s’annexeraient d’autant plus aisément à la Grèce que l’Angleterre l’a dotée déjà des îles ioniennes. Nous ne disons pas que cette nouvelle politique anglaise ait complètement triomphé dans le gouvernement anglais; elle lutte contre l’ancienne, mais elle lutte en avançant toujours.

Dès 1843, une partie de l’opinion publique en Angleterre commence à se préoccuper sérieusement de l’avenir que l’intervention de l’Occident en Orient doit ouvrir à la Grèce et aux populations chrétiennes. Dès ce moment, la presse anglaise se met à faire un de ces examens de conscience dont l’Angleterre a la bonne et salutaire habitude. Quand les Anglais s’aperçoivent que leur politique va mal sur un point ou sur un autre, ils ne s’en prennent pas, comme d’autres peuples ou d’autres gouvernemens, à la Providence, qui leur fait injustice; ils ne soutiennent pas contre l’expérience et contre le bon sens que tout va bien quand tout va mal; ils ne disent pas qu’il faut