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de tous les triomphes du progrès matériel ; elle trouve toujours un asile dans les cœurs de bonne volonté, dans les imaginations choisies. Des poètes parlant la langue des vers, il y en a encore, et il y en aura tant que les hommes sentiront en eux-mêmes la puissance de l’émotion, le goût des choses délicates. M. Édouard Pailleron est un de ces esprits bien faits qui ne désertent pas la poésie, la langue des vers, ou qui ne lui font que de passagères infidélités. Il y a trois mois, il est vrai, dans une ingénieuse invention, le Monde où l’on s’amuse, il montrait qu’il savait, lui aussi, parler en prose d’une façon alerte et vive ; mais au même instant il se préparait à livrer devant le public du Théâtre-Français son grand et heureux combat des Faux ménages, cette hardie et poétique comédie taillée dans la vie contemporaine, et aujourd’hui, sans se reposer dans le succès, il publie ses vers de jeunesse, la gerbe de deux ou trois saisons sous le titre d’Amours et haines. Il est fidèle aux vers.

Il y a toujours de l’intérêt à suivre un jeune talent dans ses manifestations variées, dans son développement. Les Faux ménages ont dépassé d’un seul coup tout ce que M. Pailleron avait fait jusqu’ici, et les vers qu’il publie aujourd’hui, qui ont précédé les Faux ménages, révélaient déjà un progrès sur ses premiers essais dramatiques. Il y a de la jeunesse dans ce recueil, où l’on retrouvera plus d’un morceau qu’on a pu lire dans la Revue, et l’auteur peut dire, lui aussi :

Tu naquis à ton tour, ô jeune poésie !
De la première larme et du premier baiser.
Non, tu ne mourras pas, langue à jamais sacrée…

Vous voyez bien qu’elle n’est pas près de mourir, la langue sacrée, si elle doit vivre jusqu’au dernier baiser et jusqu’à la dernière larme. Les vers de M. Pailleron ont de la vivacité, du nerf, de la bonne humeur et une grâce un peu leste. Ce n’est point du tout un poète de lamentations, il aime mieux sourire, et il sait aussi s’attendrir ; mais il a de ces attendrissemens mêlés d’une aimable ou piquante ironie qui glissent sans appuyer, de même qu’il a quelquefois des indignations sans fiel et sans âcreté. C’est de la poésie d’une franche et vive nature. Ce livre d’Amours et haines, avec ses fragmens, les uns tout intimes, les autres humoristiques, ce livre lui-même est visiblement l’œuvre d’une imagination faite surtout pour se déployer au théâtre. M. Pailleron a le vers prompt et facile, allant droit au but, le vers de la bonne comédie. Il vient de prouver qu’à un goût d’idéal il joint le sens de la réalité. Il a l’amour des choses hardies et la haine de la banalité. Voilà bien des conditions pour réussir et pour garder jusque dans le succès ce généreux aiguillon qui soutient un talent bien doué, qui fait les bons poètes sur la scène comme dans les œuvres d’une fantaisie toute personnelle et intime.


CH. DE MAZADE.



Le Mariage, la Séparation de corps et le Divorce, par M. Tissot, professeur de philosophie, doyen de la faculté des lettres de Dijon, 1 vol. in-8o, Marescq.


Au moment où les réunions libres se sont prises à discuter avec plus ou moins de logique et de modération la question si grave et si souvent controversée de l’indissolubilité du mariage, un professeur à la faculté