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renseignement : l’un était son « pays, » l’autre avait servi avec lui dans les hussards. En peu d’instans, tout le monde fut au courant de ce qui le concernait; mais personne ne pouvait dire ce qu’il était devenu. Muni de ma longue-vue, je montai sur un petit mamelon d’où je pouvais embrasser la plaine; j’examinai attentivement chacun des points un peu plus foncés qui faisaient tache sur la teinte jaunâtre du sable, espérant toujours le voir se déplacer et venir à moi; mais rien ! Un silence et un calme mortels avaient succédé à l’ouragan. On fit monter à cheval un peloton de chasseurs commandés par un officier. Après deux heures de vaines recherches, craignant eux-mêmes de ne plus retrouver leur route, ils durent rentrer au camp. Une seule ressource nous restait encore. On arracha toutes les racines que l’on put trouver, et de grands feux furent entretenus toute la nuit sur le petit monticule d’où j’avais sondé la plaine avec ma lunette. « Est-il rentré?» fut ma première parole le lendemain matin. Je savais bien que non, car j’avais donné l’ordre au factionnaire de me réveiller, s’il y avait des nouvelles. Cependant la réponse que je reçus : « non, mon lieutenant, » me fit froid au cœur.

On frémit en pensant aux angoisses qu’a dû éprouver ce malheureux lorsqu’à la fin de l’orage il aura regardé autour de lui, et que dans le cercle vaste et régulier de l’horizon il n’aura vu s’agiter aucun être vivant. On le voit cherchant d’un œil inquiet à retrouver nos pas sur le sable. Tout d’un coup la vérité lui monte à la tête comme un éclair : il n’y a plus de traces, il ne peut plus y en avoir; le vent a tout détruit. Le vertige le saisit. Affolé, il enfonce ses éperons dans le ventre de son cheval, un beau cheval bai-brun qui devait m’appartenir au retour de l’expédition. La noble bête part au galop, et, l’entraînant dans une mauvaise direction, lui enlève ainsi sa dernière chance de salut. Après une demi-heure, une heure peut-être de cette allure effrénée, il s’arrête, regarde encore : la solitude n’est pas moins grande que tout à l’heure; il repart dans une autre direction, s’arrête encore, en prend une nouvelle, et continue ainsi sa course désordonnée jusqu’au moment où, les forces du cheval venant à manquer, il tombe, et alors... Dans l’une des fontes, il y avait deux biscuits, dans l’autre un revolver. Jamais on n’a eu de nouvelles de cet infortuné.

Que ces quatre étapes me semblèrent donc tristes et mornes! Pas un arbre, pas une touffe d’herbe ne venait apporter la moindre diversion à la nudité du désert. Une rangée de petites collines apparaissant dans le lointain traçait parfois une ligne sinueuse sur le bleu implacable du ciel. On se flattait d’y trouver un ravin, un rocher, quelque chose qui ne fût pas la plaine : on se faisait fête de les atteindre; mais la pente douce et à peine sensible du terrain amenait