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II.

Au mois de mars 1866, je me trouvais sur la route de Laghouat, allant avec un petit détachement rejoindre mon escadron. A Boghari, joli village arabe gracieusement perché sur les flancs d’un rocher abrupt, une dépêche nous enjoignit de hâter notre marche afin d’arriver à temps pour faire partie de la colonne mobile qu’on était en train d’organiser. La perspective d’une expédition nous fit franchir gaîment les huit longues et ennuyeuses étapes qui nous séparaient encore de Laghouat. C’était la première oasis que je voyais, et c’est celle qui a produit sur moi l’impression la plus vive. Il faisait, lorsque j’y arrivai, une de ces chaudes journées qui seules donnent aux paysages du désert leur véritable caractère. La voûte du ciel semblait si élevée au-dessus de nos têtes que les rayons du soleil nous brûlaient sans nous faire éprouver ce sentiment d’oppression qui rend la chaleur si pénible dans nos contrées. Las de la route, affaissé sur ma selle, je me laissais aller à une demi-somnolence. J’entendais bourdonner à mon oreille ce bruit à peine perceptible qu’on ne saurait définir autrement que le bruit de la chaleur. A droite et à gauche s’étendait une vaste plaine bordée seulement au loin par de petites collines qui ressortaient en bleu plus foncé sur le bleu du ciel. Le chemin à peine tracé, mais jalonné par les poteaux du télégraphe, se dirigeait vers une dune de sable qui interceptait la vue devant nous ; tournant brusquement à gauche, il nous fit dépasser cet obstacle, et tout à coup l’oasis nous apparut.

Au premier plan, une jolie allée de saules pleureurs au-dessous desquels coule le ruisseau se détache en vert tendre sur la masse sombre des palmiers. A notre droite, une percée entre l’oasis et la colline de sable laissait apercevoir un désert immense où l’œil se perdait sans pouvoir s’arrêter sur aucun détail. Un voile imperceptible de cette belle lumière particulière aux pays du midi a pris soin de fondre les tons trop chauds et trop tranchés de ce surprenant paysage en une incomparable harmonie. Une source sort de terre; tout l’espace qu’elle peut arroser forme l’oasis. Autant ce terrain privilégié est fertile, autant celui qui l’entoure est nu et desséché. Nulle part le contraste entre le verdoyant îlot et le fond aride qui l’encadre n’est mieux tranché qu’à Laghouat. L’oasis s’étend des deux côtés du ruisseau sur une longueur de 1 kilomètre 1/2. Au centre s’élèvent deux petites collines qui, n’étant pas atteintes par les eaux, sont restées stériles et jaunâtres. Sur l’une a été bâti l’hôpital; au sommet de l’autre, une mosquée commencée jadis par nos soins et qui n’a jamais été terminée domine le massif des pal-