Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rêves de l’imagination, » quand vous dites : « Nous ne pouvons plus, avec nos pères, expliquer d’aussi grands effets par d’aussi pauvres causes, » quand vous ajoutez : « N’est-ce pas une preuve certaine que la religion tient aux racines mêmes de l’humanité? » qui pouvait s’attendre que la conclusion de tout votre livre serait pourtant celle-ci : la religion, c’est l’âge de l’imagination ; la philosophie, c’est l’âge viril? Toute religion est ou symbole d’imagination, ou idole de l’entendement ou anthropomorphisme. Telle est, monsieur, la conclusion que vous apportez à la fin. C’est celle que vous repoussez au début par ces mots : « tout n’est pas dit quand on a rangé la religion parmi les rêves de l’imagination. » ’A quoi bon votre début et à quoi bon votre long circuit pour arriver, ici encore, à nier à la fin ce que vous affirmez au commencement? La formule des trois temps dialectiques triomphe encore, je dis la formule mutilée, puisqu’elle n’arrive jamais au troisième temps, et s’arrête, en tout cas et partout, et ici même, au second temps, la négation.

Ce qui précède, monsieur, c’est le plan général et abstrait de votre marche dans ce livre de la Religion. Regardons de plus près son contenu réel. Voici comment vous parvenez à la négation radicale. Vous dites que le christianisme est la dernière, la plus haute, la plus philosophique des religions, qu’il ne peut en venir une autre plus lumineuse et plus parfaite, qu’en un mot l’Évangile ne peut avoir d’autre héritier que la philosophie ; mais vous ajoutez qu’il doit avoir et qu’il aura cet héritier, et cela, parce que le christianisme est imparfait, qu’il doit passer avec l’âge de l’imagination, et que déjà il ne cesse de reculer devant la science.

Cela posé, comment démontrez-vous que le christianisme est une doctrine insuffisante, imparfaite et qui doit passer? Ici, monsieur, malgré tout le respect que je vous porte, malgré la connaissance que j’ai de votre entière sincérité, il faut nécessairement que je vous blâme. Ce que nous rencontrons ici dépasse tout ce que l’on pouvait attendre de l’homme instruit et sincère que vous êtes.

On concevra difficilement le prodige qu’en ce moment nous avons sous les yeux.

Voici un adversaire du christianisme qui, pour montrer que le christianisme est imparfait et insuffisant, va d’abord au plus difficile, et entreprend de démontrer que la morale de l’Évangile est imparfaite, insuffisante, et qu’il existe dès aujourd’hui une autre morale supérieure à la morale de l’Évangile. Mais quelle peut être cette morale, et quel nom peut-on lui donner? Son nom, dites-vous, c’est la morale moderne, et son essence, c’est d’être fondée sur la justice. Or il est clair qu’une morale fondée sur la justice