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dans la Symphonie fantastique. C’est un chercheur aventureux, un enthousiaste capable de se passionner pour les causes les plus diverses, et qui semble n’obéir qu’à certaines dispositions climatériques. En cela éclate le désaccord avec Richard Wagner, l’homme d’une idée, d’un système, l’Allemand carré par la base, qui sait ce qu’il veut, où il va, et sauve les erreurs de sa pratique par cet infaillible ascendant que tout écrivain puise dans les ressources d’une forte éducation première. Non pas que ce fond classique manquât à Berlioz, lui aussi s’était nourri de la moelle des lions ; seulement il l’avait absorbée chemin faisant, à son heure, à son caprice, et non sur les bancs de l’école, où, si j’en crois ce qu’on raconte, il s’amusait à faire la nique aux grands préceptes du bon Reicha. M. Richard Wagner, lui, ne plaisante jamais ; de quelque nom que l’on nomme sa théorie, elle est vigoureusement assise sur un roc et n’en bouge, il se peut que les choses qu’il évangélise soient mauvaises ; on ne saurait nier cependant qu’il y ait là, au plus haut degré de puissance, un tempérament d’organisateur. Berlioz au contraire n’a jamais connu de discipline ; sa dominante du moment, qu’elle lui vienne de Gluck, de Beethoven ou de Spontini, est sa seule règle. Le même homme qui au début prend son point de départ à la neuvième symphonie, et pousse le compliqué, l’étrange, jusqu’aux dernières limites de la cacophonie, écrira plus tard avec la plume de diamant d’un Haydn l’oratorio de l’Enfance du Christ, et finalement parlera dans les Troyens la langue majestueuse et simple d’un Spontini. Berlioz a passé toute sa vie dans ces inconséquences, et quand je voyais ce terroriste pleurer des larmes d’admiration au Mariage secret de Cimarosa, je ne pouvais m’empêcher de penser à Robespierre composant ses bucoliques.

Qu’on ne s’y méprenne pas cependant, tout ceci n’est que le fait d’une nature nerveuse, impressionnable à l’excès, et ces trop fréquens démentis qu’il se donnait à lui-même et comme de gaîté de cœur, s’ils atteignent le réformateur, laissent debout l’artiste. Wagner est un chef d’école, l’homme d’une idée, et par là surtout redoutable : l’auteur de Mignon, l’auteur de Mireille, sont d’agréables éclectiques ; Berlioz est une intelligence, une nature nerveuse et fébrile, il pleure à Beethoven, à Gluck, à Spontini, à Donizetti. Lui-même a pris la peine d’analyser dans un de ses livres ces sortes d’émotions produites par l’admiration et le plaisir. « Les larmes, qui d’ordinaire annoncent la fin du paroxysme, n’en indiquent souvent qu’un état progressif qui doit être de beaucoup dépassé. En ce cas, ce sont des contractions spasmodiques des muscles, un tremblement de tous les membres, un engourdissement total des pieds et des mains, une paralysie partielle des nerfs de la vue et de l’audition, je n’y vois pas, j’entends à peine ! Vertige ! demi-évanouissement ! » Et ces crises le prenaient aussi à l’audition de ses propres ouvrages. Il pleurait d’admiration sur lui-même, et ses larmes, toujours