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sur les affaires de l’Europe que celle-ci avait joué jusqu’alors. Ce fut dans ces circonstances qu’on résolut de profiter du degré de réputation auquel elle venait de s’élever et des ressources dont elle disposait pour tenter contre l’Angleterre un coup décisif. Les discussions intestines de ce pays, où il s’agissait d’une restauration des Stuarts, donnaient lieu de penser qu’on pourrait le frapper à la fois par la politique et par les armes. Pontchartrain fit en conséquence appeler le comte de Forbin, et lui dit que le roi préparait à Dunkerque un armement de plusieurs de ses vaisseaux et de 6,000 hommes de troupes de débarquement, qu’il lui en confiait le commandement, et qu’au retour de l’expédition le grade de lieutenant-général lui était assuré. Le comte accepta d’abord avec joie ; mais quand le ministre eut ajouté que cet armement était destiné à rétablir Jacques III en Écosse et en Angleterre, Forbin, qui connaissait toutes les difficultés de la navigation dans ces parages, tout le péril d’un débarquement, qui, par ses fréquentes relations avec les deux pays, savait combien peu y était populaire l’idée d’une restauration, Forbin déclara nettement que les conspirateurs avaient tout exagéré, hors les obstacles inhérens à l’entreprise, et qu’on allait marcher à un désastre. Le ministre, dont le parti était pris, le laissa dire, et ne combattit nullement ses objections politiques et militaires. Il lui répondit simplement, ce qui alors était un argument sans réplique, que Louis XIV le voulait ainsi, que le roi et la reine d’Angleterre s’étaient jetés à ses pieds, qu’il leur avait promis son secours, et qu’il ne pouvait manquer à sa parole. Cette seule raison aurait eu quelque grandeur, s’il ne s’y était joint d’autres considérations plus mesquines d’intrigues de cour que le ministre n’avouait point. On avait promis au comte de Gacé, commandant des troupes de terre, et à ses principaux officiers de les faire avancer d’un grade aussitôt que l’escadre aurait pris la mer, et Pontchartrain ne voulait pas, en renonçant au projet de descente, s’attirer le mécontentement de ces gens-là. Forbin, sur le point de sortir, revint tout à coup vers le ministre. « Monseigneur, lui dit-il, moi aussi, j’ai mon projet. Je vais aller à Dunkerque, j’armerai les vaisseaux du roi, j’embarquerai les 6,000 hommes de troupes, je passerai au travers de la flotte ennemie, je m’y engage ; seulement, au lieu de faire voile pour l’Angleterre, j’irai en Hollande, je brûlerai tous les vaisseaux du port d’Amsterdam, je mettrai tout à feu et à sang, et avant un mois vous aurez la paix. — Et les 6,000 hommes ? dit le ministre. — J’en rembarquerai ce que je pourrai, répliqua Forbin. Dans un cas comme dans l’autre, ils sont sacrifiés ; autant vaut que ce soit pour un résultat utile. » M. de Pontchartrain lui répondit que l’on pourrait songer plus tard à ce projet ; mais que