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seigneur aristocrate et cavalier comme ses ancêtres, ennemi des princes et républicain comme un autre Milton ? Chevalier dégénéré et tout ensemble hardi, il retourne la devise héréditaire de Dieu, le roi, les dames : Dieu, il est près de le nier ; le roi, il ne le connaît pas ; les dames, il les croit trop connaître. Aujourd’hui c’est un portrait du temps passé. Nous nous tiendrons quittes envers lui, si nous retrouvons son vrai caractère sous le personnage qu’il joue, si, arrêtant dans ses diatribes philosophiques, nous l’obligeons de répondre à cette question :

Est-ce vous qui parlez ou si c’est votre rôle ?

Puisque ce type s’est formé peu à peu et chemin faisant, il n’est pas surprenant qu’il ait deux époques, deux phases, celles des voyages mêmes de l’auteur. Tout le monde se doute bien que Childe-Harold est un Byron arrangé pour produire de l’effet ; mais que l’on n’ait pas accusé plus nettement les différences qui distinguent ces deux phases, ni même indiqué combien pour le ton et la couleur les deux premiers chants s’éloignent des deux qui suivent, c’est un fait qui ne peut s’expliquer que par le besoin de croire et d’admirer sans y regarder de près. Le jeune satirique ne pouvait arriver d’un bond à cette hauteur de sublime sérieux qui paraît dans la seconde partie du poème ; le premier Childe-Harold est sarcastique, et bien que le poète ait fait disparaître au moment de l’impression quelques traits de satire, il en reste assez pour marquer la transition des Bardes anglais au Pèlerinage d’Harold. Lisez dans le premier chant les stances sur les folles amours de Séville la catholique et sur la maussade austérité du dimanche protestant à Londres ; rapprochez de ces morceaux les réflexions contenues dans la préface sur les tons divers qu’il veut mêler ensemble, à l’imitation de Beattie et des poètes italiens : vous ne douterez plus que le sarcasme de la satire n’ait sa place dans la première conception de son œuvre épique. Childe-Harold est donné au public sous l’invocation du nom d’Arioste, et déjà la veine de Don Juan cherchait à se faire jour. Ce n’est pas tout : il est descriptif, et il observe non moins fidèlement les mœurs des peuples et les scènes de la vie réelle que la nature. Le récit du siège de Saragosse, les combats de taureaux, le tableau de l’intérieur d’Ali-Pacha, l’étude curieuse sur les Albanais, nous obligent de voir en lui un vrai voyageur non moins qu’un poète. Le fond principal de ces deux chants est un itinéraire. La comparaison très ingénieuse et très vraie qu’un maître de la critique a établie entre Byron et le vieux Rutilius Numatianus s’applique surtout à cette première moitié. On peut en dire autant des remarques malicieuses d’un homme de beaucoup d’esprit qui