Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous ajoutons que Don Juan, malgré ses imperfections, reste le chef-d’œuvre de Byron, et qu’il est à la fois plus dangereux que Childe-Harold et plus sincère. Seulement ou notre erreur est bien grande, ou ce jugement est demeuré confus dans l’esprit des lecteurs du poète. D’où vient qu’on parle encore de Byron comme s’il ne faisait, avec son chevalier misanthrope, qu’un seul et même être ? Pourquoi ceux-là mêmes qui entrevoient dans ce personnage la fiction et l’apprêt regrettent-ils l’erreur d’où il a plu finalement au poète de les retirer ? Ceux qu’en 1818 le Don Juan, succédant à Childe-Harold, étonnait et déroutait avaient oublié, souvent même ignoré les premières manifestations du talent de Byron. Si l’on se demande en effet quel est l’ordre chronologique, non des deux ouvrages, mais des idées qu’ils contiennent, ce n’est pas à Childe-Harold, c’est à Don Juan que revient le droit d’aînesse. Avec ce dernier, Byron redevient, toute proportion gardée, ce qu’il avait été dans la satire des Bardes anglais. C’est là une proposition qui semble renverser des idées admises, surtout dans notre pays, où le nom de Byron n’avait d’abord pénétré qu’avec le titre et presque sous la figure de Childe-Harold ; il faut la justifier. On nous saura gré peut-être, sans revenir sur une biographie présente à toutes les mémoires, de diviser nettement cette vie littéraire, si aventureuse en apparence, au fond si semblable à elle-même, en trois ou quatre périodes caractérisées.

Byron, tel qu’il a paru dans ses fougues dernières, se laisse deviner en ses premiers écrits, de 1807 à 1809 : c’est le temps des Heures de loisir et des Bardes anglais. Aussitôt après commence pour lui une période nouvelle, celle où il se compose pour étonner et pour plaire, où il se drape devant le public : elle remplit sept années. De 1809 à 1812, il voyage en Orient, et donne les deux premiers chants de Childe-Harold, déjà théâtral et fastueux, mais non sans quelques souvenirs de son point de départ, ni sans quelque promesse de la satire par laquelle il terminera sa carrière. C’est de 1813 à 1816 qu’il a fait le plus de concessions au succès. Du Giaour à Parisina, il affecte des remords mystérieux, et laisse deviner sa propre personne sous les masques de tant de héros noblement criminels qui ont toutes les vertus, sauf l’horreur du sang. Avec la troisième période, qui ne dure qu’un an, de 1816 à 1817, il reprend cette physionomie étrange de Childe-Harold, mais épurée, grandiose, aspirant au sublime, sans aucun mélange de satire. Ici finit le rôle, l’attitude empruntée, et Byron, de 1818 à 1823, achève sa carrière littéraire, plus féconde que jamais, en guerre ouverte avec les croyances, les institutions, les hommes de l’Angleterre contemporaine, contre laquelle, au début même, et très