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dans son orgueil de Siamois et dans son amour-propre de diplomate ; il devint violent, comme tous les gens timides brusquement arrachés à leur torpeur, et menaça Norodom de la colère de son maître, dont les Français seraient impuissans à détourner les redoutables effets. Il l’engagea en outre à joindre une lettre de regrets et d’excuses au message qu’il adressait lui-même à Bangkok pour porter à la connaissance du kalahom les graves événemens qui venaient de s’accomplir. Norodom, tout éperdu, eut la faiblesse d’y consentir. Il écrivit qu’il avouait ses torts, qu’il n’aurait pas dû signer sans consulter le roi de Siam, mais qu’il avait été surpris lui-même, et qu’il n’avait pas pris le temps de réfléchir aux conséquences d’un acte dont il se repentait trop tard. Pour qui connaissait le roi, il y avait au moins autant de calcul que de terreur dans ce langage. Sa lettre pouvait passer pour un indice de la politique qu’il s’était déterminé à suivre. Il voulait paraître subir une pression de notre part, ne doutant pas que Siam ne finît par reculer devant notre volonté. Nous sachant matériellement désintéressés, parfaitement instruit du prix que nous attachions à l’indépendance de son royaume, il était résolu à nous laisser faire, à nous créer au besoin, pour sortir lui-même d’embarras, des obstacles qu’il nous savait assez forts pour surmonter, à se tenir prêt, en un mot, à jouir de la liberté que nous lui aurions rendue sans que Siam fût fondé, quoi qu’il arrivât, à lui imputer la responsabilité des événemens.

L’avenir avait, il faut bien le reconnaître, certains points obscurs qui justifiaient les inquiétudes de Norodom. A. cette époque, l’ambassade annamite était à Paris ; son but n’était un mystère pour personne en Cochinchine, et l’on ne tarda point à en être informé au Cambodge. Les Siamois parlaient de la prochaine évacuation des Français comme d’un événement assuré, et de son côté un agent de Tu-Duc, plus affirmatif encore, venait réclamer à Houdon le tribut triennal. Il n’était certes pas probable que Phan-tan-gian et ses collègues réussissent dans leurs négociations : cependant, lorsqu’on connaît les faits et les hésitations, fort naturelles d’ailleurs, qui ont précédé la résolution définitive de la France, on est porté à trouver dans la perspicacité de l’esprit du roi une sorte d’excuse pour la faiblesse de son caractère. Norodom était d’autant plus troublé qu’il ne se rendait pas un compte exact du temps nécessaire pour communiquer avec la France, et que Bangkok, confiante dans les ressources de sa diplomatie, annonçait que la ratification du traité serait refusée par l’empereur Napoléon III.

Cependant la colère du roi de Siam, qui venait d’apprendre les événemens du Cambodge, s’apaisa tout à coup ; il croyait avoir