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révoltés, et il l’avait fait couronner plus tard à Houdon. Il avait pris pour se payer de ses services les provinces de Battambang et d’Angcor ; l’empereur d’Annam de son côté n’avait pas déployé une activité moindre. Le gouvernement siamois dut même tout d’abord se réjouir de notre intervention, qui faisait échec à la politique ambitieuse des Annamites. Ceux-ci, appelés en 1810 par Ang-chan pour le secourir contre les Siamois, achevèrent la conquête des six provinces que nous possédons aujourd’hui sous le nom de Basse-Cochinchine, et s’établirent même à Pnom-Penh, d’où ils gouvernèrent directement le pays jusqu’en l’année 1834. Non contens de tenir sous leur joug les infortunés Cambodgiens, ils essayèrent encore de leur imposer leurs coutumes ; l’historien de Gyadinh, avec son triple orgueil de vainqueur, de lettré et de Chinois, ne craint pas d’écrire que l’empereur d’Annam accorda aux différens mandarins civils et militaires du Cambodge un costume de cérémonie. « Ainsi, continue-t-il, disparaissent chaque jour et peu à peu ces habitudes barbares qui consistent à se couper les cheveux, à porter des habits non fendus sur les côtés, à se ceindre le corps d’un langouti, à manger avec les doigts et à se tenir accroupi. »

L’antipathie qui sépara toujours les deux races se changea d’un côté en haine inextinguible, de l’autre en mépris profond. Une loi cochinchinoise allait jusqu’à punir de la strangulation tout Annamite qui épouserait une Cambodgienne. L’intention de conquérir le royaume entier était bien évidente chez l’empereur d’Annam, et la déclaration du ministre d’état Phan-tan-gian[1], publiée par M. Aubaret, ne tient pas contre les faits. « En principe, dit-il, notre intention n’est point de nous emparer de ce pays ; nous voulons, à l’exemple du ciel, laisser les hommes vivre et exister en paix ; non, nous ne voulons pas la perte de ce petit royaume, comme le machinent d’autres personnes au cœur plein de fiel. » Ces hommes sont les Siamois. Non contens des deux provinces arrachées à Ang-eng, et sous le prétexte de soutenir les intérêts de Ong-duong, le roi légitime, ils s’avancèrent pour chasser les Annamites. La lutte dura plus de dix ans entre les deux rivaux. De quelque côté que se fût prononcée la victoire, le Cambodge était condamné à disparaître ; mais la paix fut signée, chacun garda ce qu’il possédait avant la guerre, et le partage définitif fut ajourné. Ong-duong s’engageait à payer à ses deux voisins un tribut périodique, et à ce prix les Siamois le placèrent sur le trône du Cambodge, non sans lui avoir

  1. Phan-tan-gian a été ambassadeur à Paris. Il était gouverneur de Vinh-long. On sait qu’avec la résolution d’un héros de Plutarque il s’est empoisonné après la prise de cette province par la France pour ne pas survivre au serment qu’il avait fait à son maître de la lui conserver.