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d’ordinaire que les bonzeries, les pagodes et les tombeaux, avait marqué le terme de la lutte entre les deux influences rivales qui aspiraient à prévaloir au Cambodge. Il m’a paru qu’il ne serait pas sans intérêt de rappeler les principaux incidens de cette longue bataille que nous avons souvent failli perdre, mais dont nous sommes enfin sortis victorieux. Aussi bien, puisque nous sommes désormais définitivement établis dans ces parages, il importe de bien connaître et nos amis et ceux qui sont destinés à demeurer longtemps encore nos adversaires.

Lorsque, par le traité signé à Hué en 1862, l’empereur d’Annam eut reconnu les droits de la France sur les trois provinces de la Basse-Cochinchine, le premier soin du gouverneur de notre nouvelle colonie fut d’assurer la tranquillité de nos frontières. Nous venions de couper en deux les domaines de Tu-Duc, qui conservait au sud-ouest de nos possessions les provinces de Vinh-long, Angiang et Hatien. Une des conditions du traité étant en effet la rétrocession de Vinh-long, nous ne pouvions songer à étendre immédiatement notre domination jusqu’au golfe de Siam, notre limite naturelle. La nécessité de posséder ces provinces, que nous avons été conduits à occuper depuis, n’avait pu d’ailleurs apparaître à l’auteur du traité de 1862 avec l’évidence que les événemens n’ont point tardé à lui donner. A l’est et au sud-est, nous étions bornés par le territoire annamite et par la mer ; au nord-ouest, nous touchions au Cambodge, petit royaume alors fort ignoré. Les rares voyageurs qui l’avaient visité en passant ne nous avaient rien appris de son histoire. A la faveur de l’impénétrable mystère qui voilait, disait-on, le sens des inscriptions gravées sur les murailles des monumens en ruine, l’opinion s’était généralement répandue que l’histoire du Cambodge devait être écrite, à la façon des annales égyptiennes, sur les parois des temples, opinion désormais peu probable. J’ai vu le chef des bonzes du Cambodge lire devant moi, dans la grande pagode d’Angcor, quelques inscriptions choisies parmi celles qui semblaient, à en juger par la place qu’on leur avait assignée, devoir être les plus importantes. Il comprenait aisément les morceaux écrits dans l’ancienne langue cambodgienne alors qu’elle était encore pure de tout alliage, et tout cela était relatif à des pèlerinages, à des cérémonies religieuses, à des événemens fort confus de la légende bouddhique, et n’offrait que peu d’intérêt au point de vue de l’histoire. Sans doute il n’est pas impossible qu’un jour quelque inscription serve à jeter une certaine lumière sur le passé de ce royaume ; mais il est permis de craindre que les événemens dont il a été le théâtre n’aient jamais été écrits. A moins que quelque couvent de bonzes ne garde le dépôt de ces problématiques annales, il faut renoncer à