Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/855

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Russes auraient bien pu profiter des négociations d’Andrinople pour assurer aux Serbes l’entière possession de leur pays, un diplomate russe ne put retenir ces paroles : « Eh ! si les Serbes n’avaient plus rien à désirer, ils oublieraient bientôt qu’ils sont les sujets de la Porte et les obligés de la Russie. » Ce diplomate était M. de Kotzebue, le fils de l’écrivain allemand assassiné à Mannheim en 1819, qui était à Andrinople l’ami et le confident du général Diebitsch. C’était certainement un des principes de la politique russe que le jeune diplomate avait livrés en s’exprimant ainsi, et combien d’autres symptômes depuis quarante ans ont confirmé cet aveu !

Eh bien ! Milosch dérangera les combinaisons équivoques de la Russie comme il triomphera du mauvais vouloir de la Porte. Malgré ses protecteurs comme malgré ses ennemis, il portera officiellement ce titre de prince des Serbes que lui a décerné le vœu de ses frères. Comment gagne-t-il cette victoire ? Oh ! d’une façon peu héroïque. Son secrétaire Dimitri, qui est allé à Constantinople avec la députation des knèzes pour régler les détails du traité, demande instamment que Milosch Obrenovitch, prince des Serbes, reçoive son investiture des mains du sultan Mahmoud. Les bonnes raisons ne manquent pas ; l’indifférence ou plutôt l’hostilité secrète des Russes est un argument que le secrétaire du prince n’oublie point de faire valoir. Peine perdue ! le divan s’obstine à ne rien entendre. Enfin, d’après certains indices, le négociateur comprend que l’heure est venue de produire l’argument irrésistible. Le trésor du prince des Serbes était assez bien pourvu. Les prix furent débattus et fixés. Le sultan exigea pour sa part un cadeau de cinq cent mille piastres en pièces d’or. On devine, dit un homme très initié aux affaires du prince Milosch[1], quelles sommes il fallut donner aux conseillers, aux ministres, aux uhlémas, à tous ceux qui pouvaient faire réussir ou échouer l’entreprise. Le chef qui voulait conquérir à tout prix la liberté du peuple serbe savait bien à quels ennemis il avait affaire quand il se préoccupait de grossir son épargne. Il les avait vaincus par les armes, dominés par la ruse ; il ne lui répugna point de leur payer la rançon de sa propre gloire et de l’indépendance de son pays.

Les députés étaient revenus de Constantinople le 25 septembre 1830 avec le hatti-chérif qui réglait les affaires de Serbie, et le bérat ou diplôme impérial qui donnait l’investiture au prince. Les deux pièces devaient être remises à Milosch par le pacha et le mollah de Belgrade après lecture publique. Milosch voulut que cette lecture fût une fête nationale ; elle fut fixée au 30 novembre,

  1. C’est encore le docteur Cunibert, médecin et confident de Milosch en de graves circonstances, qui nous fournit ce détail.