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circonstance fit plus que leurs canons. Le général Paskiévitch fut plus heureux en Perse, il s’empara de plusieurs forteresses importantes, et s’établit solidement sur les côtes orientales de la Mer-Noire. L’année suivante amena des résultats plus décisifs. Le tsar était resté à Saint-Pétersbourg, et le commandement en chef avait été donné au comte Diebitsch, général habile et résolu. Le 11 juin 1829, Diebitsch battit le grand-vizir Reschid-Pacha dans les plaines de Koulevtcha ; le 29, Silistrie, assiégée depuis sept semaines, fut obligée de capituler ; aussitôt les vainqueurs, laissant un corps d’observation devant Schumla, s’engagèrent hardiment dans les défilés des Balkans, franchirent l’énorme rempart qui les séparait de la Roumélie, débouchèrent le 20 août dans la plaine, et s’installèrent à Andrinople, dont la garnison venait de se rendre. Déjà les troupes de Diebitsch s’avançaient jusqu’à Tschorlu, jusqu’à Rodosto, et menaçaient Constantinople, tandis que l’escadre de l’amiral Greigh s’emparait des petits ports de guerre au sud de Varna. « Il semblait, dit un historien allemand, que les derniers jours de l’empire turc fussent arrivés. La diplomatie était en proie à de mortelles angoisses. On attendait à chaque instant la grande nouvelle, l’occupation de Constantinople par les Russes[1]. »

Cependant Diebitsch pouvait payer cher sa témérité ; il ne lui restait plus que 20,000 hommes, et il était menacé à dos par l’armée du grand-vizir, sur son flanc droit par le pacha de Scutari, Mustapha, qui, après de longs retards, se décidait enfin à marcher avec une trentaine de mille bommes. Et puis l’Angleterre était là, jalouse, défiante, toute prête à sauver la Turquie après avoir tendu la main aux Grecs : l’amiral Gordon avait l’ordre de forcer les Dardanelles avec la flotte anglaise dès que les Russes paraîtraient sous les murs de Constantinople. Encore quelques semaines, et tout pouvait changer de face. Si le grand-vizir ne perdait pas de temps, si le pacha de Scutari faisait son devoir, l’armée russe pouvait être anéantie. Diebitsch parla plus haut que jamais, et comme s’il avait 100,000 hommes sous ses drapeaux. Ce hardi langage, les efforts redoublés de la diplomatie, la crainte d’une catastrophe, firent reculer Mahmoud ; les négociations s’ouvrirent à Andrinople, et la paix fut signée le 14 septembre. La Russie rendait aux Turcs toutes les forteresses qu’elle leur avait prises en Europe ; elle restituait même en Asie la forteresse de Kars, et ne gardait qu’un petit nombre de points fortifiés sur la Mer-Noire ; en échange, elle obtenait tout ce qu’elle avait exigé en Europe, l’indépendance presque complète des hospodars de Moldavie et de Valachie, leur investiture à vie, la liberté du commerce, l’entrée du Bosphore et du passage des

  1. Wilhelm Müller, Geschichte der neuesten Zeit 1816-1866 mit besonderer Berück-sichtigung Deutschlands, 1 vol. Stuttgard 1867.