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plus tard, un voyageur français visitera le konak de Milosch à Belgrade. Il n’y trouvera plus le prince des Serbes, renversé par une révolution ; mais il y verra son fils, le prince Michel, et, auprès du jeune souverain entouré d’embûches, la mère vigilante, la compagne du héros exilé, qui, avec ses traits rigides, son expression rêveuse et austère, son regard où s’allume la flamme, ses cheveux gris tressés de rubans noirs, ses vêtemens sombres ornés de quelques dentelles, lui donnera l’idée d’une religieuse plutôt que d’une princesse régnante[1]. À ces tableaux tracés en 1829 par M. de Pirch, en 1841 par M. Blanqui, faut-il ajouter quelques détails plus expressifs encore ? La femme qui, selon la coutume orientale, servait si humblement son époux, la princesse qui ressemblait à une religieuse, a montré plus d’une fois en face de Milosch une énergie sauvage où se peint bien cette civilisation chrétienne tout imprégnée de barbarie. Il ne suffit pas de dire avec M. de Pirch que la princesse Lioubitza, obligée à se défendre des Turcs en des jours de terreur, avait appris à guider un cheval et à manier un pistolet ; on raconte en Serbie que Lioubitza savait aussi défendre contre Milosch lui-même l’honneur du foyer conjugal. Milosch, comme Kara-George, avait d’ardentes passions ; si la tradition est exacte, la princesse, en plus d’une circonstance, n’aurait point hésité à se faire justice elle-même. Elle montait à cheval, allait droit à la maîtresse de son mari, et lui brûlait la cervelle. Milosch, qui respectait sa femme comme une héroïne, ne se révoltait pas contre ce terrible rappel à l’ordre. Il était subjugué par le dévouement dont elle lui donnait tant de preuves, il jouissait de l’affection qu’elle inspirait au peuple serbe, et savait bien que sa présence était pour lui une protection. Au bout de quelque temps, assure-t-on, si le désordre reparaissait, la même justice se dressait aussitôt, toujours inflexible et sanglante.


IV

On a vu la joie des Serbes en cette skouplchina de 1827 où Milosch fit connaître à son peuple les avantages que lui promettait la convention d’Akermann. Malheureusement, si en tout pays promettre et tenir sont deux, cela était surtout vrai de la Turquie aux prises avec ses sujets chrétiens. Dans ce travail de décomposition qui commençait dès lors à menacer la monarchie ottomane, on comprend que le gouvernement de Mahmoud ne se hâtait point de s’exécuter. Des circonstances nouvelles pouvaient modifier les enagemens. Gagner du temps, c’était immense. On en gagna si bien

  1. Voyage en Bulgarie pendant l’année 1841, par M. Blanqui, membre de l’Institut de France, 1 vol. Paris 1843, p. 69.