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de la Suisse, avec leurs femmes et leurs enfans, et viennent réoccuper le sol natal, abandonné par les colons catholiques moyennant une indemnité réglée par le duc. Les prisons rendent leurs prisonniers, les grandes familles du Piémont les enfans volés, et ceux qui par faiblesse se sont faits catholiques, « les captifs de Babylone, » comme on les appelait, sont aussi autorisés à retourner au culte de leurs pères et à la « montagne de l’Éternel. » Il ne manque au rassemblement que ceux qui sont tombés dans les mains du pharaon de Versailles : ceux-là rament sur les galères, ou sont morts par le fer, le feu et la corde. Tel fut le sort du commandant Turrel, le héros de Salbertrand. Il était allé au milieu de l’hiver recruter en France les victimes des dragonnades pour la guerre des Alpes. Arrêté en Dauphiné, il avait péri du supplice de la roue à Grenoble, et douze de ses recrues avaient été pendues, « six à sa droite et six à sa gauche, » dit la relation vaudoise. La mort a fait de grands vides parmi cette population naguère si prospère ; mais enfin les survivans sont libres, ils peuvent adorer Dieu selon leur conscience, relever leurs temples et leurs maisons et cultiver en paix leurs héritages. La reconnaissance en fait des héros, et pour le prince qui leur ouvre la terre promise ils auraient soulevé leurs montagnes, entassé Pélion sur Ossa. Tous les historiens du Piémont ont rendu hommage à la valeur qu’ils déployèrent pendant cette guerre, qui dura cinq ans. « Ils furent d’un grand secours pour le duc de Savoie, » dit Carlo Botta. « Ces montagnards, ajoute le comte de Saluées dans son Histoire militaire, coururent se joindre au marquis de Parella, qui les avait attaqués naguère, et les petits combats qu’on livra dans les montagnes coûtèrent plus de mille hommes à l’ennemi, qu’on chassa de Luzerne. » La forteresse de Coni, qui était la clé du Piémont du côté de Tende, fut défendue par eux et par les habitans de la ville. Henri Arnaud, qui venait d’être nommé colonel par le duc, se multiplia avec son corps volant de coreligionnaires, tombant à l’improviste sur les détachemens français qui gardaient les défilés, enlevant les dépêches et les convois qui descendaient sur Pignerol et poussant même des pointes jusqu’en Dauphiné. Ces héroïques partisans, que Louis XIV croyait avoir anéantis, fatiguèrent l’armée française d’Italie par des attaques incessantes sur ses derrières, et leur action ne fut pas étrangère aux grands résultats de cette guerre, qui se termina en 1695 par la restitution au duc de Savoie de Casale, de Pignerol, des vallées du versant italien, et par la neutralité de l’Italie, ce grand principe si cher à la maison de Savoie.

Le duc reconnut ces services par l’édit du 23 mai 1694, qui fut la charte de la restauration vaudoise. La dissidence religieuse n’a-