Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/848

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Lorsque Davidovitch m’eut présenté à la princesse, elle me dit en langue serbe : « Soyez le bienvenu ! nous sommes charmés que vous soyez venu visiter la Serbie. Avez-vous encore une mère, un père, qui se réjouiront de votre retour ? » Ensuite je fus présenté à la fille cadette, Jelisaveta. C’est une jeune fille de dix-huit ans, bien élevée, avec un certain vernis d’éducation européenne ; elle parle italien et joue du piano. On vante sa douceur, son esprit juste, son intelligence ouverte et prompte à mettre à profit les leçons de ses maîtres. Les deux fils du prince, Milan et Michel, étaient aussi de la fête, deux enfans encore, l’un de douze ans, l’autre de sept. L’aîné, dont une constitution maladive a retardé le développement, commence à peine à prendre son essor ; le plus jeune est un bel enfant plein de grâce et de vivacité. Ils ont un précepteur qui leur apprend le latin et le serbe ainsi que les élémens des sciences. Leurs jeux sont ceux de tous les enfans ; à la tête de leurs camarades de Poscharevatz, au son du tambour, ils imitent les exercices militaires qui ont eu lieu dernièrement dans la ville. Le prince a deux frères, le hospodar Jovan, oberknèze de Brousnitza, et le hospodar Ephrem, oberknèze de Schabatz.

« Vers onze heures, la cloche sonna le dîner. Tous les convives se rassemblèrent dans la tscherdake ; c’est le vestibule du premier étage dans la partie principale de l’édifice. Les domestiques apportèrent de quoi se laver les mains, puis on passa dans une salle à manger très simple, où le couvert était mis à l’européenne. « Vous allez voir un repas tout patriarcal, » me dit Davidovitch au moment où nous passions le seuil de la pièce, et certes il disait vrai.

« Le prince se plaça debout à l’extrémité supérieure de la table. Chacun se découvrit, le petit Michel prononça la prière, puis la princesse présenta au prince un verre de rakija ; alors le prince prononça une courte allocution, exprimant des vœux pour les personnes présentes et pour tout le peuple serbe. Après cela, on prit place. Le prince s’assit au bout de la table sur un haut siège en forme de trône ; à ses côtés étaient les deux petits princes. J’étais à la droite de l’aîné et j’avais près de moi Davidovitch. À la gauche du plus jeune étaient l’archimandrite et le hospodar Vaso. Les autres convives venaient ensuite. La princesse et sa fille se tenaient debout, à droite et à gauche du prince ; j’étais si surpris de les voir rester en dehors de la table que j’osais à peine m’asseoir. Pendant le repas, elles servirent le prince et ses deux fils ; ainsi le veut la vieille coutume serbe. Depuis que la princesse est la femme de Milosch, elle n’a pas encore pris son repas une seule fois à la même table que son mari. Toutefois dans beaucoup de maisons serbes, notamment chez les frères du prince, cette coutume n’est plus observée si rigoureusement. Je compris alors ce que Davidovitch m’avait annoncé en entrant dans la salle à manger.

« Quand tous les convives furent assis, chacun d’eux tour à tour vida