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rester constamment et loyalement fidèles. » Ces divers actes, hommages de remercîment, sermens de fidélité, furent remis au prince par l’oberknèze de Poscharevatz ; il les reçut, les plaça sur sa tête découverte, selon la coutume serbe, puis appela l’un après l’autre les membres de l’assemblée et les embrassa tous en tenant toujours à la main les actes qui consacraient une fois de plus sa mission souveraine.

On vient de voir le prince Milosch dans l’exercice de cette souveraineté particulière que nous avons essayé de décrire, on vient de le voir sur le théâtre de la vie publique et en face de son peuple ; c’est le moment d’introduire ici des informations très précieuses qui achèvent la peinture du personnage. Après l’homme public, l’homme privé. N’êtes-vous pas curieux de savoir comment il a organisé sa vie de chaque jour, ce politique chargé de si grands intérêts, entouré de tant de périls, qui parle en chrétien et agit trop souvent comme un Turc ? M. Thouvenel, après un voyage dans les contrées danubiennes, écrivait ici même en 1839 : « La Russie, l’Angleterre et l’Autriche ont depuis quelque temps placé des consuls à Belgrade ; la France vient aussi d’y envoyer un agent : Milosch est donc enfin reconnu souverain par la diplomatie ! J’ai vivement regretté de ne pouvoir pousser jusqu’à Kragoujevatz pour rendre une visite à ce prince paysan ; j’aurais voulu me former une opinion sur les réformes qu’il a entreprises avec tant d’audace[1]. » Dix ans plus tard, c’est-à-dire peu de temps après les scènes que nous venons de raconter, un officier prussien, M. Otto de Pirch, avait fait le voyage de Serbie pour étudier spécialement la transformation de ce pays entre les mains de Milosch. Il était bien décidé à voir le prince paysan, dans quelque endroit qu’il se trouvât. On lui avait donné à Semlin toutes les indications, on lui avait dit de s’adresser à Dimitri Davidovitch, le premier secrétaire, homme très affable, parlant plusieurs langues, et qui s’empresserait de l’introduire. Milosch avait deux résidences à cette date, Kragoujevatz, siège principal de son gouvernement, et Poscharevatz, où il passait l’automne avec sa famille. C’est à Poscharevatz qu’il était installé quand M. de Pirch alla lui rendre visite au mois d’octobre 1829. Voici la ville riante et bien tenue, la demeure du prince avec son toit couvert de tuiles rouges ; les maisons des knèzes et de quelques négocians lui donnent tout d’abord une physionomie. On se sent en pays civilisé. Ce n’est plus la barbarie ottomane. À l’horizon, au-delà des forêts de la Morava, se dressent les montagnes de Roudnik, dont les cimes commencent à se couvrir de neige. Le voyageur se fait conduire à la chancellerie, chez M. Dimitri

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mars 1839, la Hongrie, par M. Édouard Thouvenel, p. 801.