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Le prince s’adresse d’abord au révérendissime évêque d’Ouschitzé, aux révérends archimandrites et archiprêtres, aux nobles knèzes, aux très vénérés kmètes, aux députés du peuple qu’il appelle mes chers frères, puis il évoque en peu de mots les horribles souvenirs de 1813 et de 1814, alors que l’exécrable Soliman-Pacha, comme un vampire, suçait le sang de la Serbie, empalait les hommes, égorgeait les femmes et les enfans. Assurément résister à de telles violences était le premier, le plus urgent des devoirs ; le second, qui ne pressait pas moins, était de rentrer en grâce auprès du sultan et de sauver la race serbe. « Les souverains d’Europe n’aiment pas les révoltés, ajoutait l’orateur ; c’est pourquoi, ne voulant que le bien de notre peuple, ne visant qu’à lui procurer une organisation tutélaire, je me suis jeté aux genoux du sultan, et lui ai demandé grâce. Combien de fois dans nos réunions, quand nous mangions et buvions ensemble, combien de fois même dans nos batailles contre les Turcs, vous m’avez entendu prier Dieu d’adoucir le cœur du sultan, notre empereur, d’ouvrir son âme à la pitié !… Il y a six ans, nous avons envoyé à Constantinople une députation pour s’entendre avec notre empereur sur les droits que réclame notre pays ; sur ces entrefaites éclata la résolution de Valachie et de Grèce, qui ajourna les négociations. L’empereur Alexandre avec le temps nous aurait obtenu satisfaction, si le Très-Haut ne l’eût appelé dans l’éternité. Il fit du moins ce qu’il put. Sur son lit de mort, dans son testament, le tsar magnanime recommanda expressément à son successeur et frère l’empereur Nicolas, aujourd’hui chef glorieux des Russes, de nous soutenir auprès du sultan, comme lui-même, l’auguste défunt (que sa mémoire soit éternelle !) nous avait soutenus pendant son règne. » Ici, dit le chroniqueur, toute l’assemblée cria par trois fois : « Que Dieu reçoive son âme ! que sa mémoire soit éternelle ! » L’orateur reprit ensuite : « Aussitôt que l’empereur Nicolas fut monté sur le puissant trône de Russie, il pressa le sultan de terminer nos affaires au plus vite, et aujourd’hui je m’estime heureux, chers frères, de vous apporter cette heureuse nouvelle : le sultan s’est laissé fléchir, le sultan a signé avec le tsar Nicolas le traité qui consacre les droits réclamés par nous et qui va placer la Serbie parmi les nations européennes. » Ici Davidovitch donna lecture des articles de la convention d’Akermann relatifs à la Serbie. « Vous voyez, frères, reprenait l’orateur, vous voyez que le temps est proche où notre pays aura sa place parmi les états, et jouira de tous les biens que procurent ces grandes choses, liberté religieuse[1], liberté commerciale, établissement

  1. La liberté religieuse, au point de vue serbe, signifiait alors deux choses très particulières et très-précises : 1° les évêques seraient non plus des Grecs envoyés de Constantinople par le patriarche, mais des Serbes choisis par l’église sorbe et agréés du patriarche. On sait que ces évêques venus de Turquie étaient pour les Serbes des fonctionnaires ottomans beaucoup plus que des prélats chrétiens ; 2° les églises feraient librement sonner leurs cloches, ces cloches odieuses aux musulmans, et que les Serbes depuis 1812 avaient dû enfouir sous terre pour les sauver du fanatisme turc.