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c’est le mot propre. Les députés de Milosch n’étaient plus les représentans de la nation serbe ; captifs dans leur prison splendide, gardés comme des otages, ils apprenaient chaque jour les massacres des chrétiens, et se demandaient s’ils n’étaient pas condamnés au même sort. Que Milosch donnât la moindre preuve de connivence avec les hétairies, les députés serbes, élite de la nation, étaient immédiatement sacrifiés.

Voilà sans doute des considérations qui suffiraient à expliquer la conduite du prince des Serbes, son refus très net de participer à l’insurrection de la Grèce, sa politique non pas seulement de neutralité, mais de fidélité à la Turquie, pendant que l’Europe entière prenait feu pour les klephtes et les pallicares. Eh bien ! il y avait chez Milosch un mobile qui prévalait sur tous les autres, et je ne mets pas en doute que les conceptions de son esprit ne fussent en cela parfaitement d’accord avec l’instinct populaire ; ce mobile, c’était le désir de mener à bien les affaires de la Serbie par les moyens directs, de faire triompher sa cause sous son propre drapeau et non sous le drapeau d’une nation rivale. Son attachement à la Turquie ne signifiait pas autre chose. « La Turquie, semble dire le rusé politique, est notre sphère d’action ; restons en Turquie pour profiter des fautes de la Turquie. Notre chemin est tracé, notre but est devant nous, le jour n’est pas loin où la Serbie aura reconquis son indépendance ; ce serait folie de tout compromettre en allant courir les aventures. » Je ne sais s’il ajoutait dès lors que, la succession de l’empire ottoman pouvant s’ouvrir un jour, la Serbie n’avait qu’à grandir sur son propre terrain pour en recueillir sa légitime part. Il est certain du moins que ces idées lui sont venues par la suite, et nous croyons qu’aujourd’hui encore elles sont la préoccupation discrète, mais constante, de la politique serbe. Pourquoi donc Milosch en 1821 eût-il embrassé la cause de l’hellénisme ? A chacun suffit sa tâche, comme à chaque jour suffit sa peine. L’Europe orientale est un vaste échiquier où sont engagées des parties très diverses ; il faut jouer serré, si l’on ne veut pas être dupe. L’attitude que la Serbie a gardée dans cette crise mémorable me paraît faire honneur à la politique étrangère de celui que le vœu national appelait déjà Milosch Obrenovitch, prince des Serbes.


II

Il est impossible d’accorder les mêmes éloges à sa politique intérieure. C’est le despotisme que Milosch a établi dans le pays serbe, et trop souvent un despotisme à la turque. La violence, l’arbitraire, d’incroyables excès de pouvoir, des monopoles révoltans, des exactions monstrueuses, voilà ce que présente à nos regards son