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Bulgarie. Serbes et Bulgares, en 1821, paraissaient aux Grecs des instrumens tout prêts pour l’accomplissement de leurs desseins. On lancerait ces barbares comme une avant-garde, puis on verrait à quoi se décider, selon la tournure que prendraient les choses. Tel était le plan de 1821, le plan de ces princes du Fanar qui représentaient les intérêts grecs et la politique russe dans les provinces roumaines du Danube. Quand la véritable révolution grecque sera conduite par des héros, les choses changeront d’aspect ; dans la première phase, les intrigues russes dominent tout, et c’est au milieu de ces intrigues que le prince Ypsilanti écrivit à Milosch pour le pousser à la révolte. Que fit Milosch ? Il resta fidèle au sultan.

Les historiens qui ont accusé Milosch d’avoir trahi en cette circonstance la cause de la civilisation chrétienne ne me semblent pas avoir une juste idée des complications sans nombre de la question orientale. Les défenseurs du prince des Serbes n’ont pas de peine à le justifier. Outre les raisons qu’on vient de voir, on doit rappeler encore deux choses décisives, d’un côté la situation particulière de l’Autriche, de l’autre les négociations engagées entre la Porte et le prince des Serbes. L’Autriche, Milosch ne l’ignorait point, était singulièrement inquiète du mouvement de la Grèce, derrière lequel elle voyait s’agiter l’ambition moscovite ; le soulèvement des Serbes, si Milosch eût consenti à en donner le signal, aurait entraîné les Serbes autrichiens, et de là des conflits inextricables où la Serbie, ayant tout à craindre, alliés et adversaires, ne pouvait que recevoir de mortelles blessures. Quant aux négociations pendantes avec le divan, il y avait là aussi de graves avertissemens pour Milosch. Après son refus d’accepter comme définitives les concessions partielles de Mahmoud, après cette scène si curieuse où le prince des Serbes, avec autant de courtoisie que de fermeté, avait invoqué subitement les stipulations du traité de Bucharest, il avait dû envoyer à Constantinople une députation nombreuse composée des principaux knèzes et chargée d’exprimer au sultan les vœux unanimes du pays. Or, l’insurrection de la Grèce ayant éclaté pendant que les députés de Milosch étaient en instance auprès du divan, leur position était devenue terriblement critique. Un firman de Mahmoud venait d’opposer aux projets de l’hétairie hellénique toutes les passions du fanatisme turc ; déchaînée, ivre de fureur, la populace de Constantinople ne respectait rien. Les hôtels des ambassadeurs étrangers n’étaient plus des refuges. Le Fanar surtout, résidence des princes grecs, se trouvait exposé aux derniers périls. C’est de ce côté que demeuraient les députés serbes. Attaqués dans leur logis, sauvés à grand’peine par des janissaires commis à leur garde, ils furent conduits au patriarcat grec, et, le patriarcat ayant été à son tour assailli par l’émeute, on finit par les enfermer dans le sérail. — Enfermer