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le major Verceîli, gouverneur de la forteresse de la Torre, adoptèrent dès lors un système de conduite qui frappa vivement l’attention des proscrits, mais dont ceux-ci ne paraissent pas avoir compris tout d’abord la signification. La poursuite devient moins pressante du côté du Piémont, tandis que du côté de la France elle redouble d’énergie et d’acharnement. Le marquis tente plusieurs fois d’entrer en pourparlers avec Henri Arnaud, devenu chef militaire en même temps que conducteur spirituel des vaudois par le départ du commandant Turrel, et lui fait offrir, par l’intermédiaire d’un prisonnier, des saufs-conduits pour venir au camp piémontais. De nombreuses lettres furent échangées ; mais ces avances sont toutes repoussées. « Vous me marquez, répond Arnaud à ce prisonnier qui servait d’intermédiaire, que dans la paix tout fleurit, que dans la guerre tout se détruit, et que vous souhaiteriez savoir mes sentimens là-dessus. Les voici sans aucune réserve, avec fidélité et sincérité. — Vous savez que nés pères ont possédé de temps immémorial ces vallées, qu’ils ont très fidèlement servi leur souverain, payé les impôts et obéi en tout ce qu’on leur commandait. Cependant ils ont été chassés de leurs maisons depuis quelques années, pour s’en aller errans avec leurs familles dans les pays étrangers. Il ne faut donc pas trouver étonnant que ce pauvre et obéissant peuple ait si fort à cœur de revenir dans les lieux de sa naissance pour y habiter et posséder les héritages que ses ancêtres ont laissés de tout temps. Notre intention n’était point et n’est point encore de faire la guerre à son altesse royale, notre prince naturel. »

Arnaud, comme tous les esprits possédés par une idée fixe, n’avait pas de souplesse ; il ne comprit pas la pensée politique qui se cachait sous ces avances. La nouvelle attitude de l’autorité piémontaise révélait assez clairement que le duc voulait se réconcilier avec le peuple opprimé pour s’en faire un auxiliaire. Le duc était en effet à cette époque à bout de patience. Louis XIV devenait plus exigeant. Après lui avoir demandé ses meilleures troupes pour les envoyer sur le Rhin, il élève maintenant de nouvelles prétentions ; il accuse le duc d’avoir des ententes secrètes avec l’Angleterre, la Hollande et les autres protecteurs des vaudois, et, pour s’assurer de son alliance, il ne se contente plus de la possession des forteresses de Pignerol et de Casale : il veut mettre garnison jusque dans Verrua et dans la citadelle de la capitale. Devant ces prétentions, soutenues par les dépêches insolentes de Louvois, le duc fut bien forcé de regarder autour de lui s’il n’y avait pas un moyen d’y échapper. Au mois d’août 1689, il eut une entrevue secrète à Turin avec son cousin, le prince Eugène. L’empereur d’Autriche, poussé par Guillaume d’Orange, offrait à Victor-Amédée un agrandissement du côté de Gênes, la restitution de Pignerol et de Casale, dé-