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une politique qui était en germe dans le mouvement de septembre.

La révolution de 1868, avec ses apparences de force, portait en elle d’inévitables faiblesses. Et d’abord, qu’on le remarque bien, ce n’est pas le peuple qui l’a faite. Le peuple ne s’est montré réellement que quand tout a été fini. Depuis bien des années sans doute, il s’était détaché par degrés de la monarchie d’Isabelle II ; à Madrid surtout, il se montrait glacial, si ce n’est hostile, sur le passage de la reine. Il avait perdu l’affection et le respect pour cette royauté dont il a regardé l’effondrement avec une placidité sceptique ; mais il n’avait ni la passion ni la claire intelligence d’un autre régime : il est resté passif. C’est donc une révolution militaire accomplie par des généraux disposant un jour d’une partie de l’armée, et ce fait seul créait d’avance un péril permanent au nouvel ordre de choses en le livrant à la fatalité traditionnelle des prépondérances et des antagonismes militaires. Toutes les autres insurrections avaient fait des capitaines-généraux ou maréchaux, celle-ci a fait le sien, c’est Prim. Serrano et Prim étaient-ils de bonne intelligence ? s’entendraient-ils longtemps ? lequel des deux aurait le plus d’ascendant sur l’armée ? C’était toute la question, comme au lendemain de 1854 on s’était demandé si Espartero et O’Donnell étaient d’accord. Il est bien certain en effet que sans Prim et Serrano la révolution n’aurait pas existé, et si depuis ils n’étaient pas restés ou s’ils n’avaient point paru rester unis, si leur union n’avait pas été la garantie de la fidélité de l’armée, il est telle circonstance où une simple sédition aurait pu devenir une révolution nouvelle.

Une autre des faiblesses originelles du mouvement de septembre, c’est qu’il était le résultat d’une coalition où des nuances d’opinion, des partis divers, mettaient en commun leurs ressentimens et s’alliaient pour renverser une monarchie sans être convenus de ce qu’ils feraient le lendemain, en gardant au contraire leurs arriére-pensées. Les chefs de l’union libérale, les progressistes, les démocrates, étaient également victorieux, et se disputaient naturellement la victoire. De là le caractère du gouvernement provisoire, curieuse image de cette situation. L’union libérale avait pour représentai Serrano, Topete, M. Adelardo Lopez de Ayala, M. Lorenzana, un publiciste distingué qui devenait ministre des affaires étrangères ; les progressistes comptaient le général Prim au ministère de la guerre, M. Sagasta à l’intérieur, un ancien député, M. Ruiz Zorrilla, au fomento, un économiste un peu radical, M. Figuerola, aux finances. Le parti démocratique n’avait pas de place dans ce ministère dictatorial, mais on lui assurait sa part en faisant l’un de ses chefs les plus éminens, avocat et orateur passionné, M. Nicolas Rivero, le premier alcade de Madrid, et on lui donnait un gage bien plus grave encore