Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/802

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proposaient alors qu’on s’entendît simplement pour l’action, et qu’on écartât les questions qui pourraient diviser, en laissant au pays le soin de prononcer souverainement.

C’était tourner autour de la difficulté et tout livrer au hasard. En refusant d’entrer dans cette voie, les chefs de l’union libérale, il faut le dire, obéissaient à un sentiment de prévoyance patriotique ; s’ils étaient prêts à accepter la grave responsabilité d’une révolution, ils ne voulaient pas lancer le pays dans une aventure indéfinie, sans direction et sans but. Ils hésitaient, et la négociation menaçait de se perdre dans ces débats intimes sans aboutir à rien. Certes dans ces quelques mois il n’y a pas eu beaucoup de momens où la reine aurait pu se sauver ; il y en a eu pourtant deux. Je dirai tout à l’heure quel fut le dernier ; celui-ci était l’avant-dernier. Si la reine, s’inspirant de l’a gravité de la situation et se mettant au-dessus des mesquines intrigues de cour, avait tout à coup changé de politique, elle eût probablement jeté le désordre dans toutes ces tentatives d’alliance, elle eût retenu les unionistes prêts à glisser dans l’insurrection. Bien au contraire, le gouvernement, comme s’il avait craint que les choses ne marchassent pas assez vite, frappait un de ces coups qui ne sauvent jamais rien. Dans un mouvement d’irritation, aux premiers jours de juillet, il expédiait brutalement Serrano, Dulce, Caballero de Rodas, aux Canaries, Echague, Zabala, Ros de Olano, Cordova, aux Baléares ou sur d’autres points éloignés. Il pensait disloquer ainsi l’état-major de l’union libérale, et par la même occasion, pour achever la déroute des conspirations qu’il voyait se lever devant lui, il exilait le duc et la duchesse de Montpensier.

Qu’y avait-il cependant de commun entre les infans et tous ceux qu’on exilait ou qu’on internait ? Il n’y avait aucun complot, et c’est peut-être alors que s’établissaient des intelligences plus intimes ; on a dit du moins que les officiers de la frégate chargée de transporter le duc à Lisbonne avaient offert au prince de se prononcer dès ce moment. Si rien ne fut tenté sous le coup de l’acte plus audacieux que prévoyant du ministère espagnol, c’est que la conspiration, justement à cause de ces perplexités dans lesquelles les chefs unionistes s’étaient laissé retenir, n’était pas aussi mûre qu’on le croyait ; mais si l’alliance de toutes les hostilités qui menaçaient la reine n’était pas scellée encore, le gouvernement faisait tout ce qu’il fallait pour la précipiter. Par son défi, il ajoutait aux ressentimens des généraux, il les exaspérait, il les délivrait des derniers scrupules. Ces timides conspirateurs avaient hésité jusque-là, ils n’hésitèrent plus, et, puisqu’on les poussait à bout, ils acceptaient la lutte avec toutes ses chances. A partir de cet instant, les