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Le gouverneur, dans son rapport, évalue à 6 morts et 20 blessés le nombre des victimes du côté de la population. Du côté de la troupe, il compte 14 blessés ; mais il reconnaît que, sur ces 14 blessés, 4 seulement ont été atteints dans la soirée du 2 décembre ; les 10 autres avaient été blessés dans les deux journées antérieures. Parmi les 14 blessés, un seul aurait été atteint d’un coup de feu ; les autres n’ont reçu que des coups de pierre. Toutes ces circonstances montrent assez quelle a été la nature des événemens de la soirée du 2 décembre, et combien se trouve peu justifié le mot d’émeute que le gouverneur emploie à diverses reprises afin d’excuser cette sanglante répression. N’oublions pas de faire remarquer que le contre-amiral Dupré ne donne pas la liste détaillée soit des blessés du côté de la troupe, soit des morts et des blessés du côté de la foule. Une relation privée, rédigée par quelques-uns des chefs de l’opposition coloniale et reproduite par plusieurs feuilles de la métropole, supplée à cette omission, mais seulement en ce qui concerne les habitans tués ou blessés.

Après cette triste promenade, les soldats bivouaquèrent jusqu’à quatre heures du matin au milieu des rues de la ville. Dans la nuit, le gouverneur, après avoir consulté son conseil privé, prit la résolution de proclamer l’état de siège. Le lendemain en effet, la ville était placée sous le régime militaire. Défense était faite aux journaux de publier aucun article, aucune nouvelle ayant un caractère politique. La circulation à pied, à cheval ou en voiture était interdite, à partir de huit heures du soir, dans les rues de Saint-Denis. A peine le gouverneur avait-il pris ces mesures rigoureuses qu’un nouveau revirement s’opéra tout à coup dans son esprit irrésolu. Une députation composée de quelques personnes notables, appartenant pour la plupart au parti libéral, se rendit le 3 décembre au matin chez lui, l’assurant qu’il avait été trompé la veille par de faux rapports et lui conseillant de lever l’état de siège, de consigner les troupes dans leurs casernes et de convoquer la milice. Il refusa de ’-lever l’était de siège, qui avait été décidé à l’unanimité par le conseil privé ; mais sur les deux autres points il consentit à ce qu’on lui demandait. Le jour même, à quatre heures de l’après-midi, il réunit au Jardin des plantes la milice, à laquelle vinrent se joindre spontanément un grand nombre d’habitans qui s’en étaient éloignés depuis l’établissement de la taxe de remplacement. Un nouveau commandant fut nommé. La garde de la ville fut remise à la milice ainsi fortifiée et reconstituée. Voilà donc une population placée sous le régime de l’état de siège, et sur laquelle on compte assez cependant pour lui confier le soin de se garder elle-même. Rien ne prouve mieux combien les craintes de la veille étaient exagérées, et