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Cette lettre, portée à Viuz et à Saint-Jeoire, ouvrit le passage jusqu’à Cluses, ancienne capitale du Faucigny, bâtie sur l’Arve, au pied de rochers à pic. Arrivés devant cette ville le second jour de leur entrée en Savoie, ils virent les habitans en armes sur les fossés et sur les rochers, vociférant et criant des injures aux vaudois, qu’ils appelaient « barbets. » Ces préparatifs belliqueux étaient dus à l’initiative de quatre seigneurs enfermés dans la ville, MM. de Rochette, de Riddes, de Charbonnière et de Loches. Les otages comprirent qu’il y allait de leur vie, si le combat s’engageait, et l’un d’eux, M. de Foraz, écrivit à ses confrères un billet qui eut le même succès que le premier. La ville s’ouvrit, et les vaudois la traversèrent entre deux haies de population silencieuse. Néanmoins, en sortant, on remarqua des enfans qui couraient à toutes jambes dans la direction de Sallanches, autre ville de la même vallée. Cette circonstance excita la défiance, et l’on pria les gentilshommes de se joindre aux otages. Le domestique de l’un d’eux, ayant voulu devancer l’expédition, fut arrêté, et on le trouva porteur d’une lettre de son maître aux habitans de Sallanches pour les engager à disputer le passage. Rendus plus circonspects par cette découverte, ils avancèrent avec prudence dans cette immense crevasse de l’Arve qui conduit au Mont-Blanc. La rivière, grossie par les pluies, occupait presque tout le bas de la vallée, et de chaque côté s’élevaient des hauteurs à pic, « d’où l’on aurait pu, dit le journal de Renaudin, écraser une armée à coups de pierres. » À Maglan, premier bourg qu’on rencontre au sortir de Cluses, on prit pour otages le seigneur et le curé. Ce n’était pas trop de tous ces otages pour dissiper le rassemblement qui s’était formé à Sallanches, où 600 hommes armés gardaient le pont sur l’Arve. Le passage ayant été refusé, l’avant-garde vaudoise s’empara du seigneur de Megève et de quatre des principaux de la ville qui étaient venus à cheval à la tête du pont. Cette capture importante fit tomber les armes des mains de la population. On se mit à parlementer pour échanger les prisonniers contre un homme que l’on disait être le premier syndic de Sallanches, mais qui n’en était en réalité que le premier meunier. Quatre capucins étaient chargés de mener à bonne fin cette fraude, qui fut découverte et coûta la liberté à deux de ces singuliers parlementaires, (i Les deux autres, dit le journal, surent si lestement retrousser leur robe pour courir qu’ils échappèrent. » Les deux capucins prisonniers, voyant leur vie en danger, obtinrent que le pont fût laissé libre, et les vaudois allèrent se reposer des fatigues de la journée au village de Combloux, à l’entrée des passages qui conduisent du bassin de l’Arve dans celui de l’Isère. C’est là que les attendaient les grandes difficultés.

Ils suivirent d’abord la vallée de Megève, qui verse ses eaux dans