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Louis XIV, et il la favorisa de tout son pouvoir, mais indirectement, par ses amis hollandais et suisses. Dès lors les vaudois ne manquèrent ni d’armes, ni d’argent, ni d’officiers exercés pour les commander. Bientôt on ne fit même plus un mystère de la protection du prince d’Orange, et un émissaire du duc de Savoie écrit qu’il a vu près de Lausanne des vaudois qui portaient à leur chapeau les couleurs de Guillaume, le ruban orange. La Suisse, moins craintive devant le roi de France, auquel la diète de l’empire venait de déclarer la guerre, laissait se produire assez librement ces manifestations et ces préparatifs vaudois. Arnaud, de retour de son voyage, eut une dernière entrevue avec Janavel, qui lui donna par écrit des instructions curieuses sur la conduite de l’expédition.

Il trace à ses compatriotes un plan de campagne où l’on reconnaît l’expérience du partisan et la foi ardente du chrétien. En entrant en Savoie, ils devront ramasser sur leur route les seigneurs et les prêtres, et les garder en otages pour faire tomber la résistance des populations. Il leur indique les cols par lesquels ils devront passer et les montagnes qu’ils devront fortifier dès qu’ils seront arrivés. Il en est une surtout, la Balsille, — nom qui va être bientôt illustré par des combats héroïques, — sur laquelle il appelle particulièrement l’attention. « N’épargnez pas, dit-il, vos peines et vos labeurs pour fortifier cette position, qui sera votre forteresse la plus solide. Ne la quittez qu’à la dernière extrémité. » Lorsqu’il porte sa pensée sur ces colons infidèles qui occupent maintenant la terre sacrée, le sang lui monte au cerveau, il est saisi de l’esprit qui animait les anciens Hébreux à leur entrée dans la terre de Chanaan, et il donne résolument le conseil de les détruire à la façon de l’interdit, suivant la parole biblique. « Pas de quartier ! dit-il, car les hommes que vous épargneriez iraient révéler votre position à l’ennemi. » Il ne veut pas toutefois qu’on verse le sang innocent, « afin de n’avoir pas à en répondre devant Dieu. » Il termine ses instructions par un élan prophétique. « Si vous vous confiez en l’Éternel, soyez assurés qu’il ne vous oubliera pas, et que son épée sera autour de vous comme une muraille de feu contre vos ennemis. »

Le 15 août 1689 est le jour fixé pour le rendez-vous général sur la rive du lac. Ce jour était bien choisi, car c’était celui du jeûne fédéral, solennité plus rigoureusement observée alors qu’aujourd’hui en Suisse : tout chômait, le peuple et les autorités. On vit bien les détachemens vaudois converger vers la forêt, le châtelain de Rolles avertit même le bailli de Nyon du rassemblement qui se faisait à peu de distance de cette dernière ville ; mais le bailli ne pouvait faire battre le rappel des milices un jour de jeûne et d’humiliation, et il se contenta d’assister au départ, qui eut lieu pendant la nuit sur quinze bateaux arrivés secrètement de Genève et de Lausanne. Le