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gantesque, enfanté par des esprits malades, qui échoua dès les commencemens. Le comte Govone, envoyé piémontais en Suisse, ayant appris par ses agens la nouvelle du rassemblement vaudois à la tête du lac, adressa d’énergiques réclamations à la diète helvétique, et Louis XIV fit déclarer que, si l’invasion projetée n’était pas réprimée, il en ferait un casus belli. Leurs excellences de Berne, de qui relevait alors le pays de Vaud, où se faisait le rassemblement, durent agir sous la double pression de la France et de Turin, et l’ordre fut expédié au bailli d’Aigle de ramener de gré ou de force les émigrés dans l’intérieur de la Suisse. Le bailli exécuta l’ordre avec toute la douceur et tous les ménagemens possibles, car, en sa qualité de protestant zélé, il souhaitait ardemment le succès de l’entreprise qu’il était obligé de réprimer. « Pauvres vaudois, leur dit-il les larmes aux yeux, le Seigneur se souviendra de vos détresses, car il ne peut qu’approuver le zèle que vous témoignez pour rétablir sa sainte religion dans le sanctuaire de vos aïeux, où elle n’a jamais été éteinte, et il vous ramènera infailliblement dans votre patrie. » Après le bailli, un chef de l’expédition prit la parole et commenta ce texte de l’Écriture : ne crains point, petit troupeau. « Oui, ne crains point, car Dieu a son temps pour abattre et pour relever ; souffrons avec patience, et à son heure il nous relèvera. »

Après cette tentative manquée, le vieillard de Genève et Arnaud se mirent à l’œuvre pour un nouveau plan. Cette fois on se réunirait près de Nyon, dans la forêt de Prangins, à l’endroit où le lac est étranglé entre le promontoire savoyard d’Yvoire et la côte de Vaud, où par conséquent la traversée du lac est très courte ; on gagnerait rapidement les hautes montagnes du Faucigny pour éviter la poursuite des troupes ducales, et, arrivé dans la haute vallée de l’Isère, on franchirait le mont Iseran et le Mont-Cenis pour tomber de là sur la terre vaudoise. Ce plan arrêté entre Arnaud, Janavel et d’autres réfugiés, on se mit en devoir de l’exécuter, et le mot d’ordre du rassemblement fut transmis aux vaudois dispersés en Suisse et en Allemagne. Il ne suffisait pas cependant d’aspirer à reconquérir la patrie, il fallait des moyens d’exécution, des armes, des munitions et de l’argent. Arnaud partit secrètement pour la Hollande et alla en conférer avec Guillaume d’Orange. Ce prince ne s’était pas encore embarqué pour l’Angleterre ; mais déjà il préparait dans les ports de la Hollande cette expédition qui devait détrôner le Stuart catholique, donnera l’Angleterre un roi protestant et à la France le plus terrible ennemi qu’elle ait eu. Il saisit d’un coup d’œil l’importance de la tentative vaudoise, la diversion qu’elle créerait sur les Alpes et l’action dissolvante qu’elle exercerait probablement sur l’alliance de Victor-Amédée II et de