Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils pussent demeurer réunis, qu’ils fussent sous la dépendance immédiate du souverain, et non comme en France sous celle des nobles. Il y a peu d’artisans et d’industriels parmi eux : ainsi il ne faudrait que des terres à cultiver et surtout des pâturages. Ils aimeraient particulièrement un territoire propre à la culture du minier, parce qu’ils se sont depuis longtemps appliqués à élever les vers à soie, et pourraient, par ce moyen, pourvoir aisément à leur subsistance. Son altesse électorale peut être assurée de trouver en eux des sujets soumis et d’une fidélité inébranlable. Ce sont des gens simples et laborieux ; mais ils ont des manières à eux, et leurs habitudes ont beaucoup de ressemblance avec les mœurs suisses. Pour cette raison, ils ne voudraient pas être mêlés avec les Français réfugiés, dont l’humeur vive et éveillée ne s’accorderait peut-être pas avec leur tranquillité et leur genre de vie tout patriarcal. » Des lieux d’établissement furent arrêtés à Standal, à Burg, à Spandau et à Magdebourg ; mais, quand les vaudois virent qu’il fallait aller si loin, il leur sembla que c’était un nouvel exil, et, comme le peuple d’Israël captif à Babylone, ils furent ressaisis par la grande douleur de la patrie absente. Ce sentiment leur était revenu avec la sécurité. L’image de leurs chères montagnes, un moment effacée par les souffrances physiques de la captivité, revint plus vive et plus attrayante dans leur imagination dès qu’ils furent entourés du bien-être procuré par la bienfaisance des frères étrangers. Ils ne marchaient vers les établissemens promis qu’en regardant en arrière, et à chaque étape à travers la Suisse il en restait quelques-uns qui ne voulaient plus avancer. L’auteur des Memorie di me, qui faisait partie de l’un de ces convois, raconte qu’à Saint-Gall 150 vaudois refusèrent d’aller plus loin. L’envoyé prussien, M. de Bondely, qui les accompagnait, s’indigne de cette conduite dont il ne comprend pas le motif, et il a des paroles dures pour la caractériser. « Au lieu de 1,500 vaudois que nous attendions, écrit-il à l’électeur, nous n’en avons que 7 ou 800 ; les autres sont des libertins qui se laissent aveugler par un amour incroyable pour leur patrie, et qui veulent à tout prix y retourner. »

On a peine à comprendre qu’après tout ce qui s’était passé ils aient encore conservé l’espoir de rentrer dans leurs vallées ; mais les sentimens du cœur n’ont pas la même logique que la raison, et ils échappent au contrôle de celle-ci. Comment rentrer dans leurs vallées, maintenant repeuplées de colons catholiques, gardées par les armées de Louis XIV et de Victor-Amédée II ? Comment triompher des obstacles qui les en séparaient : le lac de Genève à franchir, la Savoie tout entière et de hautes montagnes à traverser, des populations ennemies et des soldats à combattre ? Mais rien ne peut