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aurait plus tôt conduits dans sa demeure. Il y en eut qui les portèrent dans leurs bras depuis la frontière jusqu’à la ville. » Les conseils de la république venaient eux-mêmes en costume officiel attendre aux portes de Genève l’arrivée des convois. Les malheureux entraient en chantant le psaume du refuge composé par Théodore de Bèze :

Faut-il, grand Dieu ! que nous soyons épars !


Ils chantaient d’une voix lamentable, et la population émue pleurait et chantait avec eux. « C’étaient des scènes lugubres, continue le même contemporain, à l’arrivée de chaque convoi. Les premiers arrivés accouraient au-devant des nouveaux pour chercher leurs proches. Un père demandait son enfant, et un enfant cherchait son père, un mari cherchait sa femme, et une femme son mari. » Et le peuple de Genève, témoin de cette grande désolation, s’efforçait de l’adoucir par ses soins, par sa sympathie et sa charité. Il fallut un arrêté du grand-conseil pour répartir les proscrits entre les habitans, car ceux-ci ne mesuraient pas toujours leur bonne volonté pour les réfugiés à leurs ressources ni à la capacité de leurs maisons, et dans leur élan inconsidéré de dévoûment ils emmenaient chez eux tous ceux qu’ils rencontraient. Ce dévoûment paraîtra plus admirable encore, si l’on se rappelle que Genève n’avait pas à secourir seulement l’infortune vaudoise. Un érudit distingué, M. Gaberel, a compté 60, 000 réfugiés français qui trouvèrent alors dans cette ville un asile permanent ou un secours pour continuer leur route vers d’autres pays. Les maisons comme les cœurs semblaient s’élargir, dit-il, pour contenir toutes ces épaves de la révocation. Jamais l’utilité des petits pays à côté des grands n’a mieux été démontrée, et, si la reconnaissance des bienfaits reçus était une vertu politique, l’école moderne des grandes agglomérations nationales ne serait pas née. L’exemple de Genève recevant pendant trois siècles les victimes des révolutions et des réactions politiques et religieuses de la France montre à quoi servent ces existences qu’on regarde aujourd’hui de si haut.

Les autres cantons de la Suisse protestante vinrent au secours de Genève et revendiquèrent leur part de bienfaisance. Après eux, ce furent les princes d’Allemagne, surtout le vieil électeur de Brandebourg. Aussitôt qu’il apprit l’arrivée en Suisse des premiers vaudois, il envoya au-devant d’eux son chargé d’affaires dans le Palatinat, M. Mendelshobe, pour traiter de leur établissement en Allemagne. Par une lettre du 25 janvier 1687, l’envoyé transmet à son maître les renseignemens qu’il a recueillis sur les émigrans. « Ces braves gens, dit-il, désireraient surtout qu’on leur donnât un district où