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De ces lettres du président Hénault, il résulterait que Mme de Rochefort aurait été en juillet 1742 engagée de cœur avec le marquis d’Ussé, que celui-ci s’inquiétait des assiduités de l’abbé de Sade, très suspect de galanterie, et qui, sous prétexte d’apprendre l’italien à la jeune dame, aurait manifesté pour elle des sentimens qu’elle se reproche d’avoir un peu encouragés ; le frère de la dame, M. de Forcalquier, s’en est aviser tandis qu’il ne connaît pas, à ce qu’il semble, l’attachement plus sérieux qui existe entre elle et d’Ussé. Il est visible que le président Hénault, tout en se comparant assez plaisamment à Ruyter par allusion aux tempêtes qui avaient agité sa liaison avec Mme du Deffand, n’attache aucune importance au léger commerce de coquetterie entre Mme de Rochefort et l’abbé de Sade, dont s’inquiétait son ami d’Ussé ; mais jusqu’à quel point celui-ci avait-il le droit de se montrer inquiet ? Si nous nous en rapportions aux réflexions que fait Mme du Deffand sur les confidences que lui transmet son ami, quoique ces réflexions ne soient pas encore d’une précision absolue, nous pourrions croire qu’il existait à cette époque entre d’Ussé et Mme de Rochefort une liaison de même nature que la sienne avec le président Hénault. Cependant, avant d’admettre cette donnée, acceptée un peu légèrement dans un ouvrage récent[1], il faut voir si elle n’est pas contrariée plus ou moins par d’autres témoignages. Disons d’abord le peu que nous savons du marquis d’Ussé. Il était non pas gendre, comme on l’a écrit, mais petit-fils de Vauban par sa mère Jeanne-Françoise Le Prestre de Vauban, mariée en janvier 1691 à Louis Bernin de Valentinay, receveur-général des finances de Tours, et dont la terre d’Ussé avait été érigée en marquisat en 1700. Celui-ci fut un des patrons de Voltaire, qui dans sa jeunesse le consulte sur ses vers et le visite au château d’Ussé. Il paraît que lui-même, tout en s’occupant avec passion de chimie, versifiait aussi de son côté ; il envoie en 1734 à Voltaire et à Mme du Châtelet une épître, et Voltaire répond : « Mme du Châtelet a cru d’abord que l’épître était de M. votre fils, au feu brillant qui règne dans vos vers. » Ce fils est précisément celui qui nous intéresse, Louis-Sébastien Bernin. — Il aurait été, suivant La Chesnaye des Bois, marié en novembre 1718 à une demoiselle de Carvoisin, ce qui le ferait beaucoup plus âgé que Mme de Rochefort, née en 1716. Peut-être était-il veuf en 1742, car dans les lettres de cette date, où le président Hénault parle si

  1. Nous voulons parler d’une notice détaillée sur Mme du Deffand et sa société, placée en tête d’une réimpression complète du recueil de 1809 et du recueil des lettres à Walpole. L’auteur de cette notice, M. M. de Lescure, rencontrant sur son chemin le fait relatif à Mme de Rochefort et au marquis d’Ussé, a naturellement tranché la question dans le sens indiqué par les mœurs du XVIIIe siècle ; mais on comprend que nous éprouvions le besoin d’y regarder de plus près.