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des plus merveilleux qui soient jamais sortis des mains d’un peintre ? Voilà bien des richesses, très importantes sans doute au point de vue de l’art, mais plus importantes encore au point de vue de l’histoire. Les deux incomparables chefs-d’œuvre que possède la Trippenhuys, le Repas de la milice bourgeoise, de van der Helst, et la Ronde de nuit, de Rembrandt, ne font pas eux-mêmes exception à cet égard, puisque les personnages de ces deux toiles d’une originalité unique sont composés de portraits de contemporains dont nous pouvons encore nommer quelques-uns avec certitude.

Je préviens donc les artistes qui visiteront Amsterdam que, s’ils sont plus soucieux de peinture que d’histoire, et s’ils veulent étudier particulièrement les Hollandais comme peintres de l’air, de la lumière et des plus subtils phénomènes de la nature, c’est le musée van der Hoop qu’ils devront fréquenter de préférence. Dans cette galerie, composée avec un soin et un goût qui révèlent un connaisseur consommé, d’un tact infaillible, un de ces connaisseurs qui sentent par l’âme les belles choses, comme disent les Italiens, il n’y a presque que des chefs-d’œuvre. Sur un peu plus de cent cinquante toiles dont se compose la collection, on n’en compterait pas dix de médiocres. Là se trouvent, outre le paysage de Cuyp dont nous venons de parler, quatre paysages de Ruysdaël, dont un de la plus austère beauté, le plus ravissant Karel Dujardin, des Wouvermans du ton le plus clair et le plus léger, deux marines de Backuysen d’une finesse étonnante, puis de beaux spécimens de ces peintres trop admirateurs du paysage historique à l’italienne, mais qui ont su conserver les qualités natives de leur génie national en dépit de l’imitation, Berghem et Asselyn. Le talent de Pierre de Hoogh n’a certes enrichi aucun musée de l’Europe de plus merveilleux trompe-l’œil que les tours de sorcier de sa façon qui figurent dans cette galerie, prodiges d’une telle dextérité que, nous y trompant nous-même, nous avons pris pour la libre lumière du jour le rayon de soleil qu’il a emprisonné dans une de ses toiles voilà tantôt deux cents ans, et qui depuis lors y est resté gaîment captif. C’est dans cette galerie, aussi riche en tableaux de genre qu’en paysages, que le curieux trouvera quelques-unes des meilleures toiles de Steen, la Jeune Fille malade par exemple et cette ravissante Liseuse de van der Meer de Delft dont nous avons parlé dans une de nos précédentes études. Après le délicieux musée de La Haye, nulle collection, parmi celles qui en Hollande sont librement ouvertes au public, ne mérite autant l’attention des artistes que ce petit salon d’élite, où les plus habiles interprètes de la nature qu’aient eus les Pays-Bas, exempts de tout pédantisme historique, de toute poussiéreuse érudition, de toute vaniteuse aspiration vers