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piquante combien nos mérites sont peu de chose, et combien nous aurions tort de nous targuer de nos lumières. À coup sûr, les lumières, le bon sens, le sentiment de l’humanité, furent en cette circonstance du côté d’Arminius et des républicains : Arminius fut un esprit libéral et, comme nous dirions aujourd’hui, avancé ; Gomar fut un fanatique et, comme nous dirions encore, un conservateur borné. Eh bien ! ce fanatique borné, odieusement secondé par le froid, politique, implacable Maurice, et cruellement servi par une braillarde canaille, se trouva défendre des doctrines autrement importantes pour la liberté morale, dont il ne se souciait pas du tout, que celles de son adversaire, lequel au contraire s’en inquiétait fort. Et maintenant soyez fiers de vos lumières et comptez sur le mérite de vos œuvres, gens d’esprit, philosophes, bons citoyens, chrétiens éclairés, hommes charitables ! L’esprit qui souffle où il veut va mettre, s’il lui plaît, la sagesse sur les lèvres d’un fou et la tolérance dans le cœur d’un furieux ! Le sort de la doctrine d’Arminius en est en même temps la réfutation ; si Arminius eût été jugé selon ses mérites, il aurait triomphé ; au contraire ce fut Gomar qui l’emporta. « Et la preuve que la liberté ne peut rien et que la grâce peut tout, la voilà ! » pouvaient dire après le synode de Dordrecht ceux des spectateurs de cette querelle qui avaient une pointe d’esprit sceptique.


II. — ALBERT CUYP.

Il en a été pour nous de Dordrecht comme de ces personnes inconnues dont le visage un instant aperçu vous laisse une émotion délicieuse. Nous n’y sommes point descendu, et cependant cette ville reste au nombre des souvenirs les plus ineffaçables de notre excursion. Quelque vif qu’ait été le plaisir de la surprise que Dordrecht nous a fait éprouver à notre entrée en Hollande, il ne saurait égaler pourtant le charme avec lequel nous avons plus tard contemplé par deux fois son aspect, car cette ville était désormais associée dans notre mémoire au souvenir d’un chef-d’œuvre. Ce que van der Meer a fait pour Delft, un des plus grands artistes de la Hollande, Albert Cuyp, l’a fait pour Dordrecht. Comme deux fils reconnaissais, les deux artistes nous ont laissé les portraits de leurs villes natales : charmant patriotisme, et qui leur a porté bonheur à tous deux. De même qu’un peintre de portraits étudie longtemps l’attitude dans laquelle son modèle révèle le mieux sa vraie ressemblance, le costume et les couleurs qui s’accordent le mieux avec sa physionomie, les objets accessoires qui le replacent le mieux dans le centre où sa vie s’écoule, ainsi van der Meer et Cuyp semblent avoir