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van Ostade, qui, la lèvre inférieure avancée d’une façon presque menaçante, ont l’air de fumer par manière de bravade démocratique, et pour narguer le roi-soleil et les aristocraties européennes. Une paysanne du Sud-Hollande, reconnaissable à ses boucles d’oreilles en forme de ressort qui se détend, ingénieux et formidable engin de défense, qui doit avoir été primitivement inventé pour protéger la chasteté des blanches Bataves contre les entreprises des galans trop audacieux, est assise sur le rebord du bateau, et au moment où un beau jeune homme d’une tournure très fière passe auprès d’elle, j’entends cette femme, jeune encore et belle elle-même, dire à très haute voix : « Pas de grands seigneurs. » Ce mot singulier me fait repasser tout ce que j’ai jamais appris de l’histoire de ce peuple, le plus indépendant qu’il y ait peut-être jamais eu au monde[1], et me remet en mémoire ce mot du roi Louis Bonaparte : « Le peuple hollandais est un peuple frondeur. »

Si dans nos siècles de lumière nous n’avions pas perdu la naïveté, et avec elle toutes les vivacités d’impressions qu’elle entraîne, si nous obéissions encore instinctivement à ces lois de notre imagination, grâce auxquelles les anciens personnifiaient une contrée sous la forme d’une belle nymphe, je dirais que la Hollande est le pays le plus nerveux que l’on puisse voir. Sa physionomie mobile et variable à l’excès a deux aspects : elle est riante, elle est mélancolique, et ces deux aspects se succèdent parfois avec une telle rapidité qu’ils paraissent simultanés, et que le pauvre voyageur ne sait si cette nature le boude ou l’invite. Ce pays d’eau possède avec la plus charmante exactitude tous les caractères que les poètes attribuent aux esprits élémentaires des eaux, les sylphes d’Irlande, qui, vêtus de robes d’un vert glauque, aiment à passer de longues heures en rêveries pensivement tristes aux bords des lacs, et surtout les ondines et ondins, qui, selon les meilleurs démonologues poétiquement résumés par le baron de Lamotte-Fouqué dans son joli roman, passent des pétulances les plus capricieuses aux boutades les plus

  1. Un détail de mœurs à la manière de ceux que Stendhal aimait à citer comme donnant la clé des caractères nationaux. On me raconte qu’à Amsterdam, lorsqu’un homme du peuple tombe ivre dans la rue et qu’un agent de police arrive pour le mener au poste, les camarades, de cet homme interviennent et tiennent à peu près ce langage à l’agent : « Laissez-le, nous le conduirons nous-mêmes chez lui ; nous ne voulons pas que vous le touchiez, » et que, faisant comme ils le disent, ils enlèvent au nez et barbe de la police l’ivrogne qui était sa proie légale de par les règlemens d’une bonne administration urbaine. L’indépendance des Anglais est célèbre, cependant les Anglais ne sont indépendans que tant qu’ils se sentent fermes sur le terrain de la légalité ; mais, autant que j’ai pu voir, il m’a semblé que les Hollandais seraient capables à l’occasion de ce degré d’indépendance qui consiste à se mettre au-dessus de la loi.