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glots et des protestations s’élèvent de l’assemblée. Les plus affligés, ne pouvant invoquer aucun secours naturel, espèrent en un miracle, et attendent la délivrance du Dieu qui a gardé l’Israël des Alpes pendant tant de siècles. « Ne comptez pas sur des événemens miraculeux, répond Gaspard de Muralt. Il vous est impossible de lutter contre vos ennemis. Réfléchissez à votre position. Une issue vous reste pour en sortir : ne vaut-il pas mieux transporter ailleurs le flambeau de l’Évangile dont vous êtes dépositaires que de le laisser ici s’éteindre dans le sang ? » L’assemblée déclara qu’elle ne pouvait prendre un parti définitif sans avoir consulté le peuple de toutes les vallées, et pendant que cette enquête se fait les ambassadeurs retournent à Turin pour agir sur l’esprit de la cour ; mais la propagande faisait bonne garde : on ne les laisse pas arriver jusqu’au duc, on leur refuse même les saufs-conduits qu’ils demandaient pour les députés vaudois chargés d’apporter à Turin la décision de l’assemblée du Chiabas. Celle-ci s’était déclarée en permanence, et le secrétaire de la légation suisse revint avec le dernier mot des ambassadeurs. « Il n’y a plus rien à espérer, la cour n’est plus libre, l’envoyé de Louis XIV assiège le duc et le presse d’agir sans retard. Hâtez-vous de quitter ce pays pendant que vous le pouvez encore ! »

On vit alors la division s’introduire parmi ce peuple jusque-là si uni. Personne n’eut l’idée d’abandonner la foi des pères ; il n’y eut pas la même unanimité au sujet de l’abandon de la patrie. Une partie des pasteurs se prononça pour l’émigration ; mais les délégués laïques des communes, réunis à Roccapiatta le 14 avril, jurèrent, la mainlevée vers le ciel, selon la formule donnée par Janavel, de combattre jusqu’à la mort, à l’exemple de leurs pères. Cette décision causa un étonnement douloureux aux ambassadeurs, qui écrivirent de Turin une lettre émue. « Sans doute, disaient-ils, la patrie a de grands charmes ; mais les biens du ciel sont préférables à ceux de la terre. Vous pouvez encore sortir de ce pays qui vous est à la fois si cher et si funeste, vous pouvez emmener vos familles, conserver votre religion, éviter de répandre le sang. Au nom du ciel ! ne vous obstinez pas dans une résistance inutile, ne fermez pas la dernière issue qui vous reste pour éviter une totale destruction ! » Qu’on juge de l’effet de cette lettre, dit un écrivain vaudois. Tous les temples retentissent de sanglots qui sont bientôt dominés par les graves accens de la prière. Le 19 avril, une nouvelle assemblée confirma le serment du 14. C’était le vendredi de la semaine sainte, le jour mémorable où les prêtres de l’ancienne loi ont tué le juste. Henri Arnaud, l’un des pasteurs qui avaient prêté le serment, se leva au milieu de l’assemblée, et dit en priant : « Seigneur Jésus !