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20,000 proscrits français qui arrivaient alors dans ses états. À toutes ces victimes de la persécution, il ouvrait les bras ; il étendait sur eux sa protection, décrétait des sommes considérables et des concessions de terrain pour les établir. Les bienfaits ne sont jamais perdus. La Prusse a récolté largement ce qu’avaient semé ses anciens électeurs, et dans l’édifice grandiose élevé par les Brandebourg on peut voir encore les pierres apportées par des mains françaises, par ces malheureux dont l’électeur parle si éloquemment. Cette protection accordée à des hérétiques aurait pu ne pas faire impression sur l’esprit du duc de Savoie, et l’électeur revient à l’argument déjà employé vingt ans auparavant auprès de Charles-Emmanuel II, il parle encore de la protection qu’il accorde aux catholiques. « Nous en avons un grand nombre en Westphalie, dit-il, et nous les protégeons, nous les favorisons, nous les aimons et les élevons aux honneurs et aux dignités au même titre que ceux qui partagent notre foi. » Quand le duc de Savoie répondit à cette dépêche, il était trop tard, l’édit de janvier avait paru, et il ne restait aux vaudois que l’alternative du combat ou de l’abjuration : ils résolurent de combattre.

À la nouvelle de cette résolution désespérée, les ambassadeurs, déjà arrivés à Turin, accourent aux vallées et convoquent une nouvelle assemblée qui se réunit le 22 mars au Chiabas, sur la colline d’Angrogna, non loin du lieu où se tint deux siècles auparavant celle qui vota la réunion du valdisme au calvinisme. Elle s’ouvrit par la prière d’un réfugié français, du fameux Henri Arnaud, qui va être bientôt le Moïse de l’Israël des Alpes. Il était pour la résistance à tout prix, et il fit monter vers le ciel une prière dans ce sens, un cri d’opprimé résolu à combattre jusqu’à la mort ; mais les ambassadeurs déclarèrent la résistance impossible devant les troupes de Louis XIV et de Victor-Amédée II. « Vos vallées, dit Gaspard de Muralt, sont enclavées dans les états de vos ennemis ; tous les passages sont gardés ; aucune nation n’est en mesure de faire la guerre à la France dans votre intérêt ; nulle armée ne pourrait même pénétrer jusqu’ici, et vous enfin vous avez à peine trois mille combattans ; les troupes réglées n’attendent que le signal du massacre : comment pourrez-vous résister ? » De la part des ambassadeurs, tous fervens protestans, il ne pouvait être question d’abjuration. C’était donc l’émigration en masse, l’émigration sans espoir de retour, l’abandon définitif de la patrie bien-aimée qu’avaient à proposer les diplomates étrangers. « Consentiriez-vous, reprit l’un d’eux, à quitter votre patrie, si nous obtenions de Victor-Amédée qu’il vous laissât disposer de vos biens et sortir de ses états avec vos familles ? » À cette proposition, des cris, des gémissemens, des san-