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le reconnaîtrez à a boîte qu’il porte en sautoir, et dans cette boîte, au lieu d’un diplôme, vous trouverez les dessins qui l’accusent…

Il y a bien quelque probabilité dans cette version ; mais Pasquale la rétorque en donnant de la même phrase huit ou dix traductions toutes différentes. Un des magistrats, insistent, a fait observer que ce nom de Ziobà est tout à fait exceptionnel. — Il est vrai, a répondu l’accusé ; cependant il y a un jeudi dans chaque semaine de l’année. Supposons qu’au lieu de Ziobà, le défunt ait prononcé le mot de doge, auriez-vous par hasard regardé comme suspect le très noble et magnifique Andréas Gritti, notre magistrat suprême ? Je ne me le figure point, et me borne à regretter que Margharita Cogni ne m’ait pas trouvé un jour plus tôt sur la route de Bassano. Je me nommerais Mercore (mercredi), et les derniers mots articulés par les lèvres de ce pauvre homme ne m’auraient aucunement porté préjudice…

Il semble évident que l’accusation perd chaque jour du terrain. Telle est au moins la pensée de beaucoup d’honnêtes personnes.


II

Le 22 mars, l’audience s’est ouverte avec un certain appareil. L’accusé en a paru quelque peu surpris, mais ne s’est permis aucune question. Il lui a été notifié que l’accusation subsistait encore, et qu’on allait entendre un nouveau témoin. A été alors introduit ser Francesco Contarini, un des membres du grand-conseil, lequel, s’adressant au prisonnier du ton le plus affable : — Eh bien ! jeune homme, lui a-t-il dit, la Providence veut donc que je vous trouve toujours en quelque passe critique ? Je ne vous promets pas cette fois de vous tirer d’affaire ; néanmoins je ferai entendre quelques mots à votre décharge.

Ces paroles généreuses auraient dû, ce semble, donner courage à l’accusé. On remarqua tout au contraire qu’elles le décontenançaient et le troublaient singulièrement. Il était tout à coup devenu très pâle. Le noble Contarini a dit alors : « Le jeudi gras de l’an passé, traversant la Piazzetta peu après la tombée de la nuit, je rencontrai un groupe d’étudians masqués qui se divertissaient de leur mieux. L’un d’eux, prenant le rôle d’un improvisateur, émerveillait la foule, qui l’écoutait bouche béante. Le seigneur Grimani, masqué comme moi, et en compagnie de qui je me promenais, parut s’amuser aussi des saillies de ce jeune fou. Par pure curiosité, nous demandâmes son nom. — C’est, nous fut-il répondu par les étudians à qui nous nous adressions, notre fameux Pasquale Ziobà, le plus gai comme le plus hardi garçon de l’université padouane.