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devant le tribunal, réuni à portes closes, la fille d’un tailleur de Padoue demeurant près de l’Annunziata nell’ arena. Déclare s’appeler Mattea Carneri. Connaît l’accusé depuis un an. Refuse de dire si elle a été ou non sa maîtresse ; avoue cependant qu’elle a parfois posé dans un atelier où il travaillait seul certains jours pour faire trêve à ses études universitaires. Sur l’observation à elle adressée qu’une fille de son âge ne devrait pas se familiariser au point de dévoiler ainsi à un jeune homme ce que la modestie ordonne de tenir secret, elle baisse les yeux et verse quelques larmes. Interrogée à cette fin de savoir si elle a vu l’accusé partant pour Venise, reconnaît l’avoir aidé à se déguiser. Il a pris la robe des docteurs en droit, et devait, par forme de divertissement, jouer ce rôle pendant les fêtes du carnaval. En suite de ces diverses réponses, le tribunal décide que l’accusé sera confronté, séance tenante, d’abord avec Mattea Carneri, puis avec Lucrezia Toldo.


Première confrontation. — Lecture est donnée à l’accusé du précédent interrogatoire. Il sourit en apprenant que Mattea Carneri s’est refusée à reconnaître qu’il était son amant. — A quoi bon ?… dit-il même, commençant un propos qu’il n’acheva pas, et, se reprenant aussitôt : Puisqu’elle dit cela, poursuit-il, ce n’est pas moi qui la démentirai… Il faut, à tout risque, rester gentilhomme. — Interrogé sur ces derniers mots, et ce qu’ils signifient, vu que son nom n’est point inscrit, que l’on sache, au livre d’or : — C’est bon, c’est bon, répond-il ; nous n’avons pas, ce semble, à nous expliquer sur ce point. (Autre note marginale : ce propos ne laissa pas d’étonner quelque peu messeigneurs.)


Seconde confrontation. — A comparu Monna Lucrezia, qu’on a placée à l’improviste en face de l’accusé. Ils se sont regardés tous deux longuement et d’un œil fixe, et ont déclaré sous serment qu’ils se rencontraient là pour la première fois de leur vie. Le visage du témoin n’a pas révélé la plus légère émotion. C’est seulement au sortir du tribunal que la veuve de feu Toldo éclate tout à coup en sanglots, déclarant que son mari ne sera jamais vengé, car cet enfant ne saurait être l’assassin. Elle ne l’a jamais aperçu ni en compagnie du défunt, ni rôdant autour de leur hôtel, etc., mille autres discours à même fin. — Il est résolu par les magistrats qu’on s’enquerra exactement des mœurs de Monna Lucrezia, vu que ses déclarations ne leur inspirent pas une confiance absolue.


Note écrite sur un papier séparé. — Le résultat des informations prises dans le quartier de San-Salvador auprès des voisins et connaissances de la famille Toldo fut éminemment favorable à Monna