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sujets, par leurs subsides, achetèrent ses conquêtes dix fois plus qu’elles ne valaient, et il ruina ses voisins et les disposa tous par ses hostilités à se liguer un jour contre lui comme contre l’ennemi commun de l’Europe. Le roi prit beaucoup de villes dans cette malheureuse campagne ; je dis malheureuse, parce qu’il commença à prendre goût au succès d’une guerre injuste ; ce fut un appât tel qu’en éprouvent les jeunes joueurs qui sont assez malheureux pour gagner d’abord, et qui, se livrant dans la suite à la passion du jeu, se ruinent, eux et leurs familles. »

Quand arrive la mort du roi, il récapitule en peu de mots ce que son ambition a coûté à la France. Il reproduit en entier le fameux mémoire que Desmarets, ministre des finances pendant les dernières années du règne, adressa au régent en 1716, et qui contient l’effrayant tableau des extrémités financières où avait été réduit Louis XIV. Il exprime des jugemens analogues sur les gouvernemens étrangers. A propos de la lutte des Pays-Bas contre l’Espagne, il présente le calcul suivant : « Jean Gourville, homme de finances, dit dans ses Mémoires avoir su de Castel Rodrigue, gouverneur des Pays-Bas, que dans le conseil d’Espagne on a vérifié en 1663 que l’Espagne depuis Charles-Quint, en moins de cent cinquante ans, a dépensé plus de 1,873 millions de livres à 28 livres le marc (ce qui ferait le double en monnaie d’aujourd’hui) pour conserver les Pays-Bas, sans compter les revenus du pays, qui y ont été consommés sans qu’il en soit rien passé en Espagne. Si l’on ajoute les revenus du pays et ce qu’il en a coûté depuis 1663 jusqu’en 1715, on trouvera que l’Espagne aurait gagné plus de 1,900 millions (4 milliards) à abandonner les Pays-Bas à une république ou à un prince particulier. »

Une comparaison entre Richelieu et Mazarin lui fournit l’occasion de s’élever contre la cupidité des hommes puissans. « Ni l’un ni l’autre, dit-il, ne songeaient que l’histoire conserve les noms des ministres dans un beaucoup plus grand éclat quand ils ont négligé les intérêts de leur famille pour avoir plus d’attention à augmenter le bonheur de leur patrie. Mazarin surpassa de plus de moitié son prédécesseur en richesses ; il vendait toutes les grâces qu’il pouvait vendre, et accumulait bénéfices sur bénéfices, dons sur dons, gouvernemens sur gouvernemens, argent sur argent, pierreries sur pierreries ; il avait même en or 8 millions de livres dans le château de Vincennes, dont il était gouverneur. Le roi s’en saisit après sa mort, et je ne doute pas que ce ne fût avec justice par rapport à leur origine. » Par le jugement qu’il porte sur la révolution d’Angleterre, on voit qu’il connaissait assez bien ce pays. Il se montre fort sévère pour Cromwell, qu’il appelle un a scélérat célèbre. » Il désapprouve tous ceux qui prennent les armes contre un