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premier. Ils ont feint que l’âge d’argent a succédé à l’âge d’or, c’est-à-dire que dans le second âge du monde les hommes vivaient avec moins de justice, moins de concorde, moins d’abondance, et étaient par conséquent beaucoup moins heureux. Ils ont dit de même que l’âge d’airain, beaucoup moins heureux, avait succédé à l’âge d’argent. A l’égard du dernier âge, ils l’ont appelé l’âge de fer, c’est-à-dire le temps où régnaient l’injustice, la discorde, la violence et la pauvreté ; mais l’histoire, la philosophie et l’expérience nous apprennent tout le contraire : elles nous apprennent que les hommes ont commencé par ignorer les arts et par être par conséquent dans la pauvreté et dans la disette. A cet âge de fer a succédé parmi les nations l’âge d’airain, c’est-à-dire une police moins grossière. A cet âge d’airain a succédé l’âge d’argent, c’est l’âge où nous vivons en Europe. Nous touchons pour ainsi dire au commencement de l’âge d’or, nous n’avons besoin pour y entrer que de quelques règnes sages. » On voit naître ici la doctrine moderne du progrès social et de la perfectibilité humaine. Le saint-simonisme n’a fait plus tard que reproduire la même idée dans les mêmes termes.

Il est impossible d’indiquer même en résumé toutes les nouveautés qui sortaient de sa tête féconde. Sur la fin de sa vie, sa manie s’étendait à tout. On a dit de lui qu’il avait fait des projets pour utiliser les prédicateurs et les médecins, les traitans et les moines, les journaux et les marrons d’Inde. On aurait pu dire plus. Convaincu que le défaut d’exercice était la cause d’une foule de maladies, il avait inventé pour les hommes condamnés à une vie sédentaire un fauteuil mécanique appelé trémoussoir, qui les secouait vigoureusement ; le trémoussoir a été abandonné, et on a eu peut-être tort.

Toujours occupé de son plan d’académie politique, il était parvenu à le réaliser par le fameux Club de l’entre-sol. Ce club à l’anglaise se réunissait dans un entre-sol de la place Vendôme, chez un abbé Alary, sous-précepteur du dauphin et membre de l’Académie française. Les séances se tenaient le samedi de chaque semaine, de cinq heures à huit heures du soir. On y trouvait les gazettes de Hollande et d’Angleterre, on y causait de politique et d’administration, on y lisait des mémoires et on les discutait. L’abbé de Saint-Pierre remplissait les séances de ses lectures. Les autres membres étaient d’Argenson, le duc de Noirmoutiers, MM. De Coigny, de Matignon, de Plélo, l’abbé de Pomponne et, parmi les étrangers, Bolingbrocke. Le Club de l’entre-sol dura dix ans ; il finit par faire trop de bruit pour être toléré, et, sur un mot du cardinal de Fleury, il se dispersa en 1731. L’abbé essaya un moment de le défendre par son Mémoire sur les avantages des conférences