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avec raison que c’était trop, et il eut le courage de le dire. Dans son Projet pour rendre les établissemens religieux plus parfaits, il demandait qu’on ne conservât qu’un petit nombre d’ordres occupés uniquement d’œuvres utiles, comme l’éducation de la jeunesse et le soulagement des malades. En même temps il voulait que la loi ne reconnût que des vœux de cinq ans pour les filles, et de dix ans pour les hommes au-dessous de quarante ans, après quarante ans il admettait les vœux perpétuels. Cette nouvelle proposition de réforme a eu le même sort que les autres, elle s’est réalisée peu à peu dans le cours du siècle, et en 1789 le nombre des religieux et religieuses avait diminué des trois quarts, bien que la population se fût accrue de 50 pour 100. Les foudres ecclésiastiques respectèrent le réformateur, il n’eut pas à se repentir comme prêtre de sa hardiesse comme philosophe.

C’était alors le temps des luttes violentes entre les jansénistes et les molinistes à propos de la bulle Unigenitus. Vivement affligé de ces débats, il demanda par exception que le gouvernement maintînt la paix publique en imposant silence aux deux partis. « Quel bien produisent ces disputes, disait-il ? Aucun. En admettant même que des erreurs se glissent dans l’interprétation des dogmes, ces erreurs sont de peu de conséquence dans la pratique. Le mal que produisent les querelles religieuses n’est au contraire que trop réel. Les deux partis se traitent réciproquement de fanatiques et d’hérétiques. Ils mettent tout en œuvre pour persécuter leurs ennemis, et, sous le spécieux prétexte de zèle pour la vérité de la foi, ils parviennent souvent à troubler la tranquillité de la société chrétienne. » Le gouvernement suivit son conseil, il imposa la loi du silence aux disputes théologiques, notamment par une déclaration royale du 8 octobre 1754. De nos jours, le résultat désiré a été plus sûrement obtenu par la liberté.

Le plus hardi peut-être de ses écrits a pour titre : Observations politiques sur le célibat des prêtres. Il y invoquait une singulière autorité, celle du tsar Pierre. « Une des choses, dit-il, qui étonnèrent le plus le tsar lorsqu’il était en France, ce fut d’apprendre d’un côté que le célibat des prêtres n’était point regardé dans la communion romaine comme un point essentiel à la religion, et de l’autre que les souverains de cette communion ne laissaient pas de permettre depuis plus de huit cents ans que l’on exigeât ce vœu de tous ceux que l’on ordonnait prêtres. L’étonnement du tsar me fit penser à cette matière, et je trouvai qu’il était bien fondé. Ainsi je vais en parler non en controversiste, mais seulement en simple politique chrétien et en simple citoyen d’une société chrétienne. » Après avoir établi que le célibat des prêtres était de pure discipline ecclésiastique, et que l’église pouvait en changer, il s’attachait à