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troupes ceux qui seront les plus opiniâtres. » Cette lettre est du 17 janvier 1686, et le 25, sans attendre la réponse de l’ambassadeur, il lui ordonne d’insister pour la révocation immédiate et les grands moyens. Le duc résiste toujours. « Il ne s’ouvre encore clairement à aucun de ses ministres, répond le marquis d’Arcy; mais je continue à faire si bien connaître ici la résolution de votre majesté de ne point souffrir si près de ses états une retraite semblable, que, nonobstant la mauvaise foi et la lenteur qu’on apporte à cette entreprise, je ne puis croire qu’on s’empêche de la terminer à la satisfaction de votre majesté. »

Pour apprécier ce qu’il y a d’honorable dans cette résistance du prince de Savoie, il faut connaître dans quelle situation il se trouvait vis-à-vis de la France. Louis XIV le tenait pour ainsi dire sous ses pieds; il le tenait par les forteresses de Pignerol et de Casale, qui serraient le Piémont comme dans un étau; il le tenait par une armée de 12,000 hommes, échelonnée de Briançon à Pignerol et occupée à dragonner les vaudois sujets de la France. Aucun des dangers de sa situation n’échappait à la clairvoyance de Victor-Amédée II, prince des plus avisés de son temps, et qui, si l’on en croit le témoignage du maréchal de Tessé, faisait chaque matin une revue de l’état politique de l’Europe pour s’orienter dans la journée. Au mois de janvier 1686, rien n’apparaissait à l’horizon qui pût faire contre-poids à la volonté tyrannique du roi de France : l’empire était occupé de sa guerre avec le Turc, la Hongrie révoltée, la Hollande en paix, l’Angleterre sous un roi ami des jésuites, l’Espagne vaincue et humiliée; partout le champ était laissé libre à la politique des dragonnades. On pouvait à la vérité déjà discerner des germes de coalitions dans les animosités politiques excitées chez les nations catholiques par les visées de Louis XIV à l’hégémonie universelle et dans les animosités religieuses allumées chez les nations protestantes par le spectacle des souffrances inouïes de 2 millions de coreligionnaires français. Aucun de ces élémens de la situation générale n’échappait à la sagacité du prince; mais aucun de ces élémens n’avait acquis assez de consistance pour lui offrir un point d’appui, et il fallut plier devant la volonté qui avait fait plier l’Europe, il fallut révoquer les anciens édits protecteurs de la secte des Alpes. Le 26 janvier, le marquis d’Arcy put écrire à son roi : « C’est mercredi prochain que le duc de Savoie m’a promis de faire connaître les mesures qu’il allait prendre pour entrer dans les vues de votre majesté. » L’édit de révocation parut le 31 janvier; il peut se résumer en trois mots, la conversion, l’exil ou la mort. Le duc espérait opérer la réunion sans effusion de sang. Aussi employa-t-il des termes d’une sévérité impitoyable