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pas à s’occuper, au moins par le tour des idées, par la source où ses convictions sont puisées et dont découlent ses raisonnemens. Sans offenser une fraction nombreuse et digne d’estime de nos compatriotes, il est permis de dire que l’esprit de M. Guizot est trop français pour être entièrement protestant.

C’est le malheur du protestantisme en France d’y être toujours en quelque sorte comme un étranger récemment naturalisé, et dont la manière d’être et de parler trahit à son insu l’origine. Cette condition n’est que trop bien expliquée par son histoire et par la longue proscription dont il a été l’objet. Née hors de France, implantée quelques jours seulement parmi nous pour être bientôt violemment expulsée, la réforme n’a pas assez longtemps grandi sur notre sol pour s’y être empreinte de notre génie national. L’Allemagne est son pays natal, son éducation s’est faite à Edimbourg, à La Haye, à Genève. Elle continue à penser et à parler comme ses maîtres. Aussi tout étonne-t-il le lecteur français ordinaire dans un livre de piété ou de théologie protestante, aussi bien les questions qu’on y traite que les solutions qu’elles reçoivent et les termes dont on se sert. Ce ne sont point là les difficultés qui nous troublent, encore moins les réponses qui nous touchent. Nous voyageons en pays inconnu avec des étrangers qui parlent devant nous de choses que nous ne savons pas. La langue même dans le protestantisme se sert n’est pas la nôtre, avec quelque correction et souvent quelque élégance qu’elle soit employée. C’est toujours plus ou moins, comme dans les colonies fondées par les fugitifs de la révocation de l’édit de Nantes, du français d’émigré, dénaturé tantôt par le vocabulaire pesant de l’érudition germanique, tantôt par les intonations empâtées de la Suisse romande. Ce défaut d’accord entre l’auteur protestant et son auditeur français, cette surprise des oreilles françaises, nuisent au succès des écrivains protestans les plus distingués. Une éloquence aussi rare que celle de M. Adolphe Monod n’a pas suffi pour triompher de ce désavantage et assurer à ce grand orateur même une célébrité moyenne. De là vient aussi qu’un esprit aussi distingué que M. de Pressensé n’obtient pas encore toute la renommée qu’il mérite. Pour conquérir l’attention générale, il faudrait que les livres protestans ne fussent pas toujours pleins d’allusions à des polémiques très vives engagées au-delà du Rhin ou sur les bords du lac Léman, et dont notre public ne sait pas le premier mot ; mais c’est là peut-être l’impossible, car, le sort du protestantisme, livré à une grande crise intérieure, se décidant en ce moment sur trois ou quatre champs de bataille dont aucun n’est en France, il est tout naturel que ceux qui lui ont confié leur âme et leur vie aient leurs regards toujours dirigés au-delà de nos frontières.