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contestés, il essaie de les justifier d’une curieuse façon : il a tué, pillé, incendié et torturé, cela est vrai; mais il s’agit de bannis qu’aucune loi ne protège, que nul n’est tenu de respecter dans leurs biens et leurs personnes, et si par aventure d’autres ont souffert, c’est sûrement quelqu’un des leurs, de leurs amis, de leurs proches ou de ceux qui leur fournissaient des vivres.

Ces étranges argumens trahissent la pensée secrète de la propagande : le peuple vaudois est hors la loi par cela même qu’il est hors de l’église une et indivisible; nul n’est tenu à lui garder la foi, selon le mot fameux d’Innocent III, et on ne commet rien de contraire à la loi de Dieu ou des hommes en lui courant sus, en le traquant dans ses montagnes. Cette pensée se fit jour pendant la conférence même par la plus odieuse des violations du droit des gens. Pendant que l’on discute avec les vaudois, après un armistice conclu, après les saufs-conduits accordés, le comte de San Damiano, colonel piémontais qui avait déjà figuré dans le drame sanglant de 1655, monte à l’assaut des vallées par quatre points à la fois. La propagande espérait trouver les vaudois endormis dans la confiance qu’avait fait naître l’ouverture des conférences; mais le chef des bandits veillait. Janavel repoussa trois des colonnes d’attaque, et la quatrième, qui avait réussi à pénétrer dans le vallon de Roccapiatta, où elle commit des atrocités qui rappellent les Pâques piémontaises, se retira précipitamment dès qu’elle apprit l’insuccès des autres. La nouvelle de ce coup monté par la propagande jeta dans un douloureux étonnement les ambassadeurs présens à la conférence; mais on ne voit pas dans le procès-verbal qu’ils aient eu la pensée d’en faire remonter la responsabilité au duc de Savoie. L’ordre d’attaquer n’émanait pas de lui. Il a été retrouvé dans les archives d’état à Turin sous ce titre : Distribuzion delle trupe per li quatro altachi che si devon fare dimani, 21 décembre, alli ribelli delle valli. Il ne porte pas la signature souveraine, et semble plutôt émaner d’un comité occulte que d’un gouvernement régulier. Le duc se hâta de faire oublier cette violation du droit des gens par ses patentes de grâce du mois de janvier 1664. Le passé est mis à néant, les sentences de mort sont rapportées, les bannis peuvent rentrer dans leurs foyers, à l’exception de Léger et de Janavel; les prisonniers sont rendus, et nul ne pourra être recherché pour des faits commis pendant la guerre. Quant à ce qui tenait le plus au cœur des vaudois, l’exercice de leur religion, il demeure toléré, selon les anciens édits, dans la région vaudoise, excepté dans la communauté de Saint-Jean, qui touche à la plaine piémontaise. Cette communauté est retranchée de la région de la tolérance. Le temple y sera démoli, et le barbe n’y pourra mettre