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est devenu un homme, voici l’heure pour lui de prendre une carrière, il vient faire son droit à Paris-, sa mère l’accompagne, son vieux précepteur le suit, le logis paisible et laborieux ressemble à la retraite qu’ils ont quittée ; une jeune fille, la nièce de Mme de Ryon, orpheline dès l’enfance et élevée auprès de son cousin, ajoute une grâce de plus à ce calme intérieur. Il n’y a là que des pensées de devoir, de dévoùment, et si un nuage fugitif passe sur le front de la mère, Armand peut lui dire en toute sincérité :

Ne vous forgez sur moi ni crainte, ni chimère,
Tel que vous m’avez fait, je resterai, ma mère.
Ah ! ces deux ans passés avec vous à Paris,
Ne les regrettez pas, ils m’ont beaucoup appris.
Je crois que l’on se prend dans le séjour des villes
D’une horreur plus profonde encor des choses viles.


Oui, c’est très sincèrement qu’il parle ainsi, puisque son entreprise de relever, de racheter une âme déchue et repentante lui apparaît comme un devoir. Voilà deux ans qu’il y travaille ; depuis deux ans, il assiste à la transformation d’une créature qui sans lui se serait perdue à jamais ; ce faux ménage qui n’est pour lui que le moyen de réaliser son entreprise va devenir bientôt, il l’espère, un ménage régulier, l’honneur et le bonheur de sa vie. Naïveté de l’enthousiasme dans une âme ignorante du monde ! C’est pour cela qu’il peut parler comme il parle, et que sa mère doit absolument se méprendre sur ses paroles. Plus il affirme son horreur des choses viles, plus sa mère frémirait d’épouvante, si elle savait à quelle entreprise généreusement insensée se rapporte cette profession de foi. Aussi quelle douleur, quelle stupeur chez Mme Armand lorsque son neveu George, avec la crudité de langage qui sied à un viveur aussi expérimenté, lui apprend que son fils est marié à une fille de rien, marié ou à peu près, a Savez-vous, ma tante, ce qu’est un faux ménage ? » Et il décrit lestement cette institution nouvelle qui gagne chaque jour du terrain. Oh ! ce ne sont plus les filles folâtres, les mangeuses d’or ; les femmes dont il s’agit ont de la tenue, elles sont économes, elles calculent et songent à l’avenir. Aussi faut-il compter avec elles. Peu à peu elles exigent, elles obtiennent des soins qui vous feraient envie. Sont-elles des épouses ? Pas encore ; elles en ont tout cependant, hormis le titre.

MADAME ARMAND.

Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

GEORGE.

En vérité !
Vous n’imaginez pas comme il est habité.
Cet immense pays oublié par le code.
La sortie est si près, l’entrée est si commode !