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de Savoie s’engage à user envers les vaudois de la même mesure que l’électeur applique à ses sujets catholiques. Nous aimons à croire que le Savoyard était porté à suivre l’exemple du Hohenzollern, car ces deux familles souveraines ont entre elles plus d’un trait de ressemblance. Toutes deux sont tolérantes par tempérament ou par politique; mais elles différaient alors en un point essentiel que cette correspondance singulière met en pleine lumière. Frédéric-Guillaume puise dans la loi et dans la charité chrétiennes les motifs de cette protection qu’il accorde à sa minorité catholique, tandis que Charles-Emmanuel subordonne sa conduite à l’égard des vaudois à l’obéissance qu’il doit à son église, salvo tamen ecclesiœ romanœ et orthodoxœ obsequio. L’un règle sa conduite sur les inspirations de sa conscience, l’autre sur le mot d’ordre venu de Rome. De là les différences de la politique suivie par ces deux familles à l’égard de leurs minorités dissidentes respectives.

Aux représentations du grand-électeur vinrent se joindre celles des états-généraux de Hollande et celles des six cantons protestans de la Suisse. Louis XIV s’abstint d’intervenir, quoiqu’il eût été invité par Frédéric-Guillaume à offrir de nouveau sa médiation; mais la France des huguenots ne s’abstint pas, elle. Il en vint quelque chose de plus efficace que des notes diplomatiques, des armes, des munitions de toute sorte et des hommes. Les frères de l’autre versant passèrent les cols de la montagne comme autrefois, et dans les sanglantes affaires des portes d’Angrogna et du Roccamanéot que nous avons rappelées les armes françaises et les soldats français avaient fait merveille. Devant ce peuple si bien soutenu, entouré de tant et de si éclatantes sympathies, résolu d’ailleurs à mourir dans la foi de ses pères, la cour de Turin réfléchit, le duc prit une idée plus claire de la situation ; il accepta la proposition des ambassadeurs suisses de réunir à Turin une conférence où les montagnards viendraient plaider leur cause. Un sauf-conduit signé de sa main fut accordé nominalement à six vaudois désignés par les ambassadeurs, et la conférence s’ouvrit le 21 décembre à l’hôtel de ville. Dans la première séance, les délégués vaudois firent la longue énumération des crimes du gouverneur qui avaient provoqué la guerre. Le vol, l’assassinat, l’incendie, la démolition des maisons, le pillage et la confiscation, rien ne manque à ce réquisitoire, dressé avec l’énergie d’une douleur longtemps contenue. Il résulte de ce document, que nous trouvons dans le procès-verbal de la conférence publié à Turin l’année suivante, que les vallées avaient été soumises au régime militaire connu vingt ans plus tard en France sous le nom de dragonnades. Le comte de Bagnolo donna son mémoire justificatif. Les faits odieux mis à sa charge n’y sont pas