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faveur l’érection de cette bastille formidable dirigée contre l’hérésie des Alpes. En vain le maréchal de Créqui, gouverneur du Dauphiné, et le commandant de Pignerol lui firent-ils observer ce que ces fortifications présentaient de menaçant pour la France, il les laissa terminer sans réclamation. La Torre se remplit bientôt d’une garnison nombreuse. En 1662, la fameuse association turinaise de la propagande désigna au choix du souverain pour gouverneur du fort un aventurier sans scrupules, le comte de Bagnolo. Quoique la paix de Pignerol eût mis à néant le passé, Bagnolo somma les hommes marquans de la dernière guerre, l’historien Léger, Josué Janavel et vingt autres vaudois, d’avoir à se présenter à Turin par-devant le sénat du Piémont. Aller à Turin en ce temps-là, c’était pour un vaudois aller à la mort ou tout au moins à la prison perpétuelle. Ils refusèrent, s’enfuirent aux montagnes, et y vécurent de la vie errante du banni, du banditto. Leurs biens furent confisqués, leurs maisons démolies, et sur l’emplacement de celle de l’historien Léger une pyramide fut élevée avec cette inscription : Alla memoria infame di Legero. reo di lesa-maestà. La même peine atteignait tous ceux qui donnaient un asile ou des vivres aux fugitifs : les soldats de Bagnolo arrivaient, démolissaient ou incendiaient la maison hospitalière. Le premier noyau des proscrits s’accrut des victimes de ces violences, et bientôt l’élite de la population se trouva sur les hauteurs et armée. On y pouvait vivre en été : sous la muanda ou chalet vaudois, le banditto était assuré de trouver toujours nourriture et sympathie ; mais, l’hiver venu, il fallut descendre et combattre pour ne pas mourir de faim. Des bandes de partisans organisées par Janavel pendant l’hiver de 1662 à 1663 s’élancent sur la zone catholique de la plaine, et les soldats du comte fuient devant ces montagnards affamés. Les villages, les bourgs, même les petites villes fortifiées, sont emportés d’assaut et mis à contribution. Ainsi commença la seconde guerre des bandits.

L’attitude du souverain devant cette nouvelle levée de boucliers montre qu’il en ignorait absolument la cause. Par son édit du 25 juin 1663, il ordonna au peuple vaudois de faire lui-même la guerre aux bannis. Se figure-t-on un peuple si odieusement traité se levant contre ses chefs aimés, ses coreligionnaires, contre ceux qui l’ont déjà une fois sauvé de l’extermination ? L’édit fixait le nombre de volontaires que chaque communauté devait fournir ; personne ne répondit à l’appel. L’abstention résignée des vaudois étonna le duc et l’irrita. L’ignorance dans laquelle l’avaient maintenu ses ministres, presque tous membres de l’odieuse association de la propagande, allait enfin aboutir au résultat espéré ; la guerre fut résolue. Le duc trompé n’avait plus devant lui des religionnaires incorrigi-