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damné sera mis aux mains du bourreau, qui lui transpercera la langue avec un fer rouge, et sur son front imprimera l’insigne de la flétrissure, une fleur de lis. Enfin il sera livré tout sanglant à l’évêque de Paris, qui le gardera prisonnier jusqu’à sa mort.

Cette sentence devait être exécutée le jour même après dîner, c’est-à-dire vers trois heures du soir. Le peuple en connaît les termes presque aussitôt que le condamné, et sans retard une foule immense se précipite vers les ponts, vers les rues, vers les places que le cortège doit traverser. Un chroniqueur estime que plus de vingt mille personnes accoururent, impatientes d’assister au spectacle de cette édifiante expiation[1]. Cette fois Berquin ne voit apparaître aucun protecteur : si Marguerite sollicite encore ou sa mère ou son frère, ses prières ne sont plus écoutées.

A l’heure assignée, le lieutenant criminel Maillard, assisté par le commissaire du Châtelet, se rend au palais avec une escorte nombreuse d’archers, d’arbalétriers et d’arquebusiers. Ils viennent chercher Berquin dans sa prison pour l’accompagner aux lieux où, suivant les termes de la sentence, il doit se rendre; mais Berquin leur répond avec calme qu’il vient de faire appel de cette sentence, et qu’il ne les suivra pas. Ainsi l’attente du peuple sera trompée, il sera privé ce jour-là du spectacle annoncé.

Le premier président convoque le tribunal le soir même. Après une courte délibération, il se rend à la prison, et fait signer à Berquin le papier sur lequel est écrit son appel. Le lendemain, de grand matin, le tribunal est encore assemblé. Le président va de nouveau trouver Berquin pour lui demander s’il persiste dans sa résolution. Il persiste et le déclare. Le tribunal réforme alors la sentence : à la peine de la prison perpétuelle, il substitue celle du bûcher. On dit que Guillaume Budé, si grand ami d’Érasme, vint révéler à Berquin les dispositions des juges, ses collègues, et le supplia durant trois jours de les fléchir par quelque soumission. Il ne put l’amener là. Cet homme était trop résolu pour craindre la mort, et trop religieux pour abjurer des lèvres ses opinions, qu’il croyait vraiment chrétiennes.

Marguerite, la reine-mère et le roi sont absens; il faut hâter le supplice de cet hérétique opiniâtre. Que ni Marguerite, ni la reine-mère, ni le roi, ne soient avertis. Quand le « pauvre Berquin » aura cessé de vivre, il n’inspirera plus qu’un vain intérêt. Le même jour 17 avril, vers trois heures, il est conduit dans un tombereau sur la place de Grève, où son bûcher est déjà préparé. Voici dans quels termes Érasme raconte, d’après un témoin, les circonstances de sa

  1. Chronique de François Ier, publiée par M. Guiffrey, p. 76, note.