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il n’a cherché, il n’a trouvé que des argumens pour tarder encore de répondre aux questions précises du président. Enfin le 5 mars la cour dit que, sans égard aux appellations, aux récusations nullement motivées de l’accusé, les juges continueront leur procédure. Il est trop clair que Berquin attend un secours du dehors. — Que du moins ce secours n’arrive pas à temps ! C’est le vœu du parlement, et c’est le vœu des délégués. Aussi le procès n’est pas long. Quoique les juges aient à lire plusieurs livres où l’accusé signale et demande à prouver des altérations nombreuses, quoiqu’on ait appelé des témoins, quoique tous les préliminaires aient fait prévoir de solennels débats, et quoique la lenteur soit habituelle aux juges d’église, la sentence suit de près l’assignation. Sur ce procès, nous n’avons qu’un document, mais il est précieux, c’est une lettre de Berquin à l’adresse d’Érasme :


«Voici de nouveau, dit-il, les frelons en fureur. Ils m’ont accusé d’hérésie devant le parlement, devant les délégués du pape, uniquement parce que j’ai traduit en langue vulgaire quelques-uns de vos opuscules où ils osaient prétendre qu’ils avaient trouvé les plus monstrueuses impiétés. J’ai sur-le-champ deviné leur manœuvre : ils voulaient, avec l’aide des dieux, brûler comme hérétiques les livres d’Érasme et avec eux maître Berquin, s’il ne consentait pas à les abjurer comme tels. S’il les abjurait, il suffisait à leur vengeance de lui avoir infligé la marque d’une insigne et perpétuelle infamie. Bien persuadé, pour ma part, que pas un endroit de vos livres ne doit être abjuré comme hérétique, je n’ai rien abjuré, ayant mon honneur plus cher que ma vie, et j’ai de plus soutenu que vous êtes un de ces hommes contre lesquels le moindre soupçon d’hérésie ne doit pas même être exprimé. J’ai dit que vos petits traités ont été approuvés par le pape Léon X; j’ai dit que le pape Adrien vous a prié de venir à Rome avec la plus touchante bienveillance, et ne vous a pas seulement envoyé cette invitation dans une et plusieurs lettres écrites de sa main propre, mais vous l’a faite encore par ambassadeur; j’ai dit que le pape Clément a suffisamment déclaré soit par ses lettres, soit par un magnifique présent, gage de son estime, combien lui a plu votre paraphrase sur les Actes des apôtres, et qu’Érasme lui a seul paru capable de réfuter la doctrine de Jean Œcolampade sur l’eucharistie. (C’est du moins ce que m’avait dit vers ce temps-là je ne sais plus qui. Veuillez, je vous prie, m’écrire si le fait est vrai.) J’ai ajouté que lorsque je traduisais vos opuscules, je n’y avais rien rencontré qui fût indigne d’un chrétien... Quant à la traduction, je leur ai prouvé que j’étais manifestement calomnié; je leur ai montré qu’entre mon style et celui du traducteur dont ils m’attribuaient la version il n’y a pas plus de ressemblance qu’entre un renard et un chameau, qu’ils m’offraient une version