Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans corrompre l’ancienne liturgie, l’invoquer à tout propos au lieu de son Fils, au lieu du Saint-Esprit. « Autant qu’il m’en souvient, écrivait Érasme en 1529, il ne s’agissait que de cela; » mais les souvenirs d’Érasme n’étaient peut-être pas, en 1529, très fidèles : on suppose donc que dans les divers écrits de Berquin il s’agissait d’autre chose encore que des prérogatives déjà méconnues du Fils et du Saint-Esprit. Après avoir lu toutes les pièces produites contre l’accusé, nous pensons, pour notre part, qu’en matière de dogme sa critique n’allait pas loin, et nous n’hésitons pas à contredire les récens historiens qui, sur la foi des sorbonistes et de Théodore de Bèze, voient dans Berquin un autre Luther. Animé comme Érasme de l’esprit nouveau, et, comme lui, dégagé de toutes les superstitions scolastiques, Berquin désirait, ainsi qu’Érasme, vivre au sein de l’église établie à cette seule condition qu’il lui fût permis de la fronder. Érasme lui-même dit de Berquin : « Il réprouvait avec force les doctrines de Luther. » Avec plus de force encore, il réprouvait la tyrannie des théologiens et des moines, et cela nous porte à croire que, dans les écrits jugés suspects par l’huissier de Mailly, il y avait également à l’adresse des moines et des théologiens des traits dont Érasme ne parle pas.

Quoi qu’il en soit, la saisie pratiquée, la faculté de théologie intervient, disant que l’affaire est de sa compétence. Il s’agit en effet de savoir si dans les papiers de Berquin il y a vraiment, comme l’a jugé l’huissier de Mailly, quelque proposition hétérodoxe, ce que le parlement ne saurait bien apprécier. Faisant droit à la requête de la faculté de théologie, le parlement ordonne, le 3 mai[1], que les objets saisis lui seront livrés, et qu’elle en fera l’examen devant deux conseillers à la cour, Me Jean Verrier et Me André Verjus. L’accusé, mandé par le procureur-général, ne s’oppose pas à ce que la faculté prenne connaissance de ses écrits; il désire toutefois être présent quand on en fera l’inventaire, et pouvoir donner avant tout des explications qu’il croit utiles. La cour décide que ces explications seront préalablement entendues. Ensuite la faculté de théologie désignera les commissaires qui liront les pièces et feront un rapport qui sera transmis à la cour. Les formes, on le voit, sont observées.

Nous avons le rapport de ces commissaires, qui porte la date du 26 juin. Il commence, selon l’usage, par une déclaration de principes. — La foi étant la base de toutes les vertus, la société civile

  1. Registres de la chambre du conseil du parlement de Paris, aux Archives de l’empire. Il nous suffit d’y renvoyer une seule fois. On pourra vérifier, en les consultant au jour indiqué, les nombreux emprunts que nous ferons à ces registres dans la suite de notre récit.